Le visible de Lyotard dans Final Fantasy VII


Cette semaine, j’ai cru bon explorer les concepts de lisibilité et de visibilité de l’image selon le philosophe Jean-François Lyotard. Des concepts complexes, ambitieux à décrire en détails, mais je crois en avoir résumé suffisamment les grandes lignes pour faire comprendre un point important sur l’immersion dans les jeux vidéo: l’image vidéoludique est plus souvent lisible que visible.

Le discours lisible

Dans Discours/figure, Lyotard distingue le discours, soit le lisible, de la figure, le visible. Le discours est ce qui doit être compris comme un élément de signification: c’est tout ce qui est signe et qui doit être lu pour être compris, à partir d’un système clair et établi. Le lisible est donc ce qui est reconnu par un lecteur, par un spectateur.

Lyotard réfère aux icônes religieuses médiévales. Lorsque je regarde une représentation de Saint Michel qui terrasse un dragon, par exemple, je reconnais l’archange par ses ailes, alors que Saint Georges qui terrasse un dragon pourrait être à peu de choses près identiques, sauf qu’il n’a pas d’ailes. Plutôt que de se baser sur un modèle réel, les artistes médiévaux utilisent un système codifié très précis qu’ils doivent respecter pour être compris.

La figure visible

La figure, ou l’image visible, c’est lorsque l’image exprime. Lorsque, plutôt que de se baser sur des conventions pour signifier, on regarde l’image pour elle-même, pour ses qualités esthétiques, pour l’agencement de ses couleurs, pour la précision de ses lignes, pour le vertige que procure ses mouvements, etc. Les arts abstraits, d’avant-garde ou le cinéma expérimental en sont de bons exemples, mais les vidéoclips sont souvent aussi vus pour leur picturalité davantage que pour leur référent.

En jeu vidéo, la plupart des images sont lisibles en ce sens qu’on apprend à les lire pour comprendre les possibilités d’action qu’elles nous permettent.

Mais il y a tout de même du visible qui se glisse un peu partout. On peut voir des images médiévales pour leur picturalité même si elles entrent dans un système de signification lisible. La mise en page d’un livre, le type de papier utilisé dans un livre, l’emplacement physique des mots, sont tous des éléments de visibilité d’un texte écrit. La cinématique des « Knights of the Round Table » de Final Fantasy VII (Square, 1997), qui dure une minute trente, est pour moi un exemple frappant de visible dans un jeu vidéo.

Même si, oui, on reconnaît des chevaliers qui frappent, des flammes qui sont lancées, des météores et, surtout, des chiffres qui signifient les dégâts perdus par l’ennemi, on peut apprécier l’image pour elle-même, dans les formes, les mouvements, les lignes, etc.

Référence

Lyotard, Jean-François. 1971. Discours, figure. Paris: Klincksieck.


À propos de l’auteur


3 réponses à “Le visible de Lyotard dans Final Fantasy VII”

  1. Avatar de Guillaume Roux-Girard
    Guillaume Roux-Girard

    Merci pour le résumé et la découverte. Cette distinction va assurément me servir. Mais je te dois une bine sur le bras pour me forcer indirectement à lire du Lyotard…

  2. Avatar de Simon Dor

    Je la dois comme bien des découvertes à Silvestra Mariniello.

  3. Avatar de Simon Dor

    Notons d’ailleurs que le terme « visible » pourrait être « audible » en ce qui a trait au son. Lyotard tire cette idée des arts visuels, d’où les termes visible, figure, figural, etc., mais le son non-verbal est très certainement « audible » davantage que « lisible ».

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