Voici un de mes premiers essais qui réfléchissait à la pertinence de la critique dans le contexte du rap québécois de 2005, publié à l’origine sur Hiphopfranco.
Hiphopfranco.com a entre autres comme objectif de promouvoir les artistes québécois, souvent considérés, pour plusieurs raisons, comme marginaux au sein de leur propre territoire. La critique est un moyen parmi tant d’autres pour atteindre cet objectif. Cependant, elle est un moyen souvent controversé, par le fait qu’elle passe par la subjectivité du critique et que son contenu n’est ni universel, ni factuel.
Essayons de vérifier si la critique est un bon moyen pour juger des œuvres crées par les artistes québécois et si elle encourage leur promotion. Le fonctionnement de la critique sera analysé en premier lieu, mais aussi l’application de cette critique dans le milieu du rap québécois précisément, en vérifiant les points positifs et négatifs de cette critique sur ce qui se fait ici.
A. Fonctionnement de la critique
Voyons d’abord ce qu’est réellement une critique; selon le dictionnaire Robert 2005 :
Critique. Examen d’un principe, d’un fait, en vue de porter sur lui un jugement d’appréciation, d’un point de vue esthétique ou philosophique.
La critique est donc une façon d’exprimer un point de vue sur quelque chose, dans une certaine perspective.
Objectifs
L’objectif d’une critique est varié et dépend du public cible. Il peut s’agir de savoir si l’œuvre en soi atteint un certain but, si l’œuvre est divertissante ou si l’œuvre répond à certains critères précis.
Mon but précis en critiquant est de savoir si l’œuvre jugée répond aux critères de sélection traditionnels des gens qui écoutent du rap, à savoir d’abord leur divertissement en écoutant, mais un divertissement atteint en différents points, dépendamment de l’œuvre : le choix et le traitement d’un sujet précis qui touche le public, la musicalité de l’œuvre, l’originalité ou l’humour, et, évidemment, les procédés stylistiques qui peuvent mener directement ou indirectement à l’un de ces points.
Inévitablement, la critique permet aussi d’exercer une réflexion sur l’œuvre en question. On se met alors à douter de certains aspects qu’on considère comme normaux et nécessaires, et on remet en question les règles traditionnelles de l’art. Elle permet donc aux artistes de revoir ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait, et au public de se questionner sur ce qu’il aime dans ce qu’il écoute.
Dangers potentiels
Il y a plusieurs dangers où il ne faut pas entrer lorsqu’on critique quelque chose.
Subjectivité
On ne peut pas exclure la part de subjectivité dans une critique. Elle est par contre normale, puisque le public veut savoir d’abord et avant tout si l’œuvre est bonne ou non. La critique a donc comme but une subjectivité; elle doit cependant s’approcher le plus possible de l’objectivité, en permettant aux lecteurs de s’identifier ou de se dissocier du critique selon ce qu’il affirme pour se justifier.
Il s’agit d’avoir des arguments, forts et tangibles, perceptibles par les mots, mais qui ne sont pas faits pour convaincre le lecteur. Il s’agit pour lui de bien décrire les paroles, le type d’atmosphère, l’esthétique, pour que le lecteur puisse comparer avec ses propres goûts et ainsi juger s’il aimera ou non l’œuvre. Il nécessite donc une part de collaboration du lecteur.
L’individu contre son oeuvre
Il ne faut pas confondre l’œuvre que l’on critique avec la personne qui l’a fait. La critique est axée sur l’œuvre en question, et non sur l’auteur derrière, donc, elle doit être exclusive à cette création. Elle peut se baser sur des œuvres précédentes, ou sur des éléments du créateur, mais celui-ci ne doivent pas être ce qui est jugé.
Exemple 1 : MC X-Ample semble se baser sur une partie de sa vie lorsqu’il écrit ses œuvres. Son témoignage est clair et parfois touchant. Cependant, je le trouve faux car mon frère le connaît et ce qu’il dit dans ses textes n’est pas vrai.
L’exemple ci-haut indique donc que les textes d’un artiste peuvent être influencés sur des faits réels. Mais il devient illégitime de se demander si ces faits sont réels ou fictifs : il en revient à juger l’individu lui-même et non son texte.
Références
Cependant, cela n’inclut pas les possibles références aux autres œuvres dudit artiste. Donc, une référence à une œuvre précédente permettrait de comparer et ainsi, de guider davantage le jugement de la personne qui lit la présente critique. S’il connaît l’œuvre précédente, il peut se positionner par rapport à la présente œuvre, en comparant selon ce que lui a indiqué la critique. Il faut faire attention : l’œuvre précédente n’est pas celle qui est jugée, mais elle permet de comparer.
Exemple 2 : Le dernier album a, de façon générale, de meilleurs instrumentals que le précédent de MC X-Ample.
Cet exemple exprime bien une comparaison entre deux albums, sans que le jugement ne se porte sur l’album précédent. Il se concentre sur l’album étudié, mais tient compte du précédent pour comparer.
Exemple 3 : Le dernier album de X-Ample est pas si pire. L’artiste est très fort, comme il l’a si bien démontré sur son album précédent.
Dans celui-ci, le critique s’égare en disant des commentaires sur l’album précédent, pour excuser le fait que le dernier album est moins bon.
La critique peut donc, d’un certain sens, s’égarer de plusieurs façons qui pourraient rendre cette fonction désuète. En effet, pourquoi avoir des critiques si on peut si facilement rendre un jugement illégitime sur une œuvre? C’est ce sur quoi le reste du texte tentera de se pencher, dans le contexte du rap québécois.
B. La critique dans le rap québécois
On pourrait dire que le rap québécois est actuellement fragile, à la fois par le peu de visibilité que nous avons dans le bassin qu’est la culture hip-hop internationale, que dans notre propre société, où le rap américain prend le dessus généralement.
Certains affirment que nous ne sommes pas bien représentés dans notre rap, simplement parce que ceux qui percent ne sont pas représentatifs de l’ensemble de notre culture. De façon générale, les noms qui ressortent se tiennent dans les K-Maro, Loco Locass ou Damien. On leur reproche souvent leur éloignement des structures traditionnelles et typiques du rap, donc, de se perdre dans quelque chose d’autre que le rap. Même si on peut contester les critiques qui les accablent dans le hip-hop, elles existent et doivent être questionnées.
Bref, on peut considérer que les gens qui percent au Québec ne font pas l’unanimité dans le milieu underground. C’est sous cet aspect que la critique, positive et négative, prend son importance.
Influence critique
Comme expliqué plus tôt, la critique entraîne une réflexion. Il y a un certain rôle social derrière un texte critique qui entraîne parfois une controverse malheureuse. Il s’agit de l’influence directe du critique.
Les lecteurs ont parfois tendance à confondre les faits et les opinions, et à donner trop d’importance à ce qu’ils lisent, sans tenter de juger par eux-mêmes. Le rôle de réflexion de la critique doit être actif pour que le texte soit valide : les lecteurs ont donc un devoir de ne pas prendre le contenu pour acquis et se doivent d’exercer leur jugement avant de donner une opinion.
Cependant, la réflexion est nécessaire, et c’est pourquoi je considère que la critique a parfaitement sa place dans le contexte socioculturel du hip-hop au Québec. Le jugement critique du lecteur se doit d’être exercé, et un texte comme celui que j’écris présentement devrait aider dans ce sens.
Promotion sans condition
Les artistes veulent tous recevoir de la promotion avec ce qu’ils font. On se plaint souvent du nombre élevé d’artistes qui font de la musique rap au Québec, et que les moins bons devraient laisser la place à ceux qui sont capable de faire du rap convenablement.
Inévitablement, cela crée un autre extrême, qu’on appelle souvent encourager la scène locale. On juge les gens qui critiquent sévèrement des artistes de ne pas encourager les artistes locaux, de détruire les espoirs de groupes naissants. Pourtant, si on veut que le rap prenne une place honorable et que les artistes connus soient représentatifs de ce que le public qui aime le rap aime, il ne faut pas encourager n’importe qui, mais encourager l’art que l’on apprécie, et qui en vaut la peine.
La critique, par la réflexion qu’elle entraîne, permet aux lecteurs de juger par eux-mêmes ce qu’ils apprécient dans le rap québécois, et, de ce fait, ce qu’ils veulent encourager comme création. Elle mène donc à quelque chose d’autre que la promotion gratuite de groupes auxquels on n’approuve aucun crédit une fois qu’ils sont au sommet. Elle a un objectif de promotion partielle : elle encourage les gens à juger ce qu’ils aiment, à placer des mots sur ce qu’ils aiment, pour qu’ils sachent enfin quoi encourager, et que les groupes supportés massivement soient ceux qui le méritent le plus.
Elle a par contre une certaine mission de visibilité : si elle veut rendre le processus de promotion d’artistes démocratique, elle se doit de parler de tout le monde (ou, on s’entend, du plus de gens possible, pour que chacun ait sa chance). Donc, de parler autant des mauvais que des bons est nécessaire, et il faut parler de tous les aspects de chacun des artistes qui sont promus.
La critique peut donc être un bon moyen pour juger les albums de rap québécois si ses lecteurs exercent leur jugement en la lisant. Elle peut permettre aux gens de se faire leur propre idée sur un album, évidemment en se basant sur d’autres aspects que la seule critique. Elle a un rôle social inévitable, lorsque bien écrite, permettant ainsi de rendre plus légitime ceux qui réussissent dans le rap au Québec.
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