Ce texte, clairement assumé comme ayant été écrit il y a plus d’un an, a été rédigé pour le cours Critique cinématographique (CIN2109) à l’Université de Montréal en automne 2005, cours donné par Marcel Jean.
A History of Violence est clairement en rupture avec les autres films réalisés par David Cronenberg. On n’assiste pas à la tendance générale complexe de sa cinématographie; la forme est ici plutôt classique, et même, on semble assister à un film s’inscrivant dans la tradition de la structure hollywoodienne. Cependant, le réalisateur, mettant en images cette fois-ci le scénario de Josh Olson, reste dans les thèmes qui lui sont habituels. L’identité, la violence, la sexualité, l’abjection, sont tout aussi présents mais exploités dans un contexte, une forme, plus accessible au grand public.
Dès les premières minutes, on comprend à quel type de film on aura affaire. Cette première scène nous présente deux personnages qui vivent à un rythme lent, supportés par le rythme du film, mais qu’on identifiera rapidement comme deux dangereux criminels. Ce type de présentation peu commune, qui nous met ces personnages dans un contexte somme toute réaliste et plausible, particulièrement par le peu d’artifices cinématographiques, est l’annonciation efficace d’un film violent certes, mais qui exploite ce moyen avec un humour noir et une tonalité ironique. Il ne faut certainement pas voir ni écouter ce film au premier degré.
L’histoire met en scène un personnage, Tom Stall, qui, par légitime défense, tue deux personnes qui prennent d’assaut son restaurant d’une petite ville des États-Unis. Les nouvelles en parlent et transforment ce père de famille honnête en héros local. Mais, un homme vient le visiter et brise l’harmonie de la famille en affirmant que Tom Stall se nomme en vérité Joey Cussack et qu’il vient de Philadelphie, où il a un passé de criminel. Cet homme se trompe-t-il d’individu? Quoiqu’il en soit, ce quiproquo crée une menace qui pourrait bien être fatale pour Tom.
C’est ainsi qu’on établit l’importance du double et de l’identité; le parallèle entre Tom et Joey s’établit clairement et impose ce thème. Est-ce que Tom Stall est Joey Cussack, ex-criminel de Philadelphie, ou est-ce une erreur sur la personne? La réponse à cette question est assez rapidement dévoilée; elle n’est pas un suspense sur lequel on veut s’attarder.
En fait, on fait très rapidement un parallèle avec l’aspect onirique. Lorsque la petite fille de la famille fait un mauvais rêve, on lui rappelle que les monstres n’existent pas. Le collègue de Tom parle aussi d’une femme qui le frappait pendant la nuit en s’imaginant qu’il était un meurtrier. Le rêve étant un contact important avec l’inconscient, il est intéressant de s’immiscer dans l’histoire en se penchant sur les allusions à ce domaine.
La structure du récit comme tel se veut une évolution progressive du personnage de Tom à travers certains éléments du passé qu’il doit régler. On traite ainsi de la fuite, celle de Tom qui sera efficacement mise en parallèle direct avec la fuite des deux criminels du début. Les éléments structurels et la suite des événements glissent avantageusement en dehors des sentiers battus, sans une courbe narrative prédéfinie.
L’aspect du dédoublement est bien rendu par le récit, qui se permet de montrer ainsi une évolution non seulement du personnage de Tom mais aussi de la relation que les membres de sa famille entretiennent avec lui. De deux séjours à l’hôpital, il est la première fois accueilli à la sortie en héros, alors que la deuxième fois il doit retourner chez lui en taxi. De deux relations sexuelles, on passe d’un moment intime à un assouvissement de pulsions.
On nous fait sentir la problématique du double autant par la forme que le fond. En vérité, le récit lui-même a deux facettes : le film est d’abord un drame, qui se transforme progressivement en film d’action. La relation du double en terme d’identité est aussi fortement présente entre les personnages de Stall et son alter ego Cussack, mais aussi entre les frères Joey et Ritchie Cussack.
On sent de plus en plus une inquiétante étrangeté à force que les vérités se découvrent et on est davantage troublés par l’expression de plus en plus forte de la violence. Autant on commence par magnifier Tom, autant il s’embourbera dans son propre intérieur à force de devoir lutter contre un destin auquel il ne pouvait réellement échapper. Il a des choses à régler dans son passé; ce passé si lointain qui, par le peu de détails que le film nous fourni sur lui, est à prendre de façon davantage allégorique que littérale.
Un autre point soutient la thèse de l’allégorie : la violence exprimée dans le film semble teintée d’ironie. Tom est perçu comme un héros, et sa façon de tuer semble aussi facile que s’il en était un. On y voit ainsi une critique des films où la violence est magnifiée : un aspect à la fois grandiose et réaliste caractérise les combats et démythifie la fiction. Ce qui semble sorti tout droit d’un film d’action classique pourrait-il être la représentation métaphorique du combat intérieur de Tom?
À un moment donné, on constate que le personnage ne peut plus fuir les éléments qui font partie de lui-même, et le combat qu’il doit livrer pour protéger les membres de sa famille le rend quand même abject par rapport à ces derniers. On assiste en même temps à l’abjection de la violence elle-même, à la culpabilité d’avoir un certain plaisir à tuer, donc, à la répression de ce qui fait partie de nous-mêmes. Le récit va d’ailleurs nous présenter efficacement un parallèle entre la violence du père et celle du fils lors de conflits à l’école : la violence est présente en chacun de nous. Le parallèle est tel qu’on pourrait placer la violence de l’un dans l’imaginaire de l’autre.
Malgré la forme assez classique, le film peut se vanter d’être clair, précis et son aspect plus accessible, étant donné la forme moins fractionné et le récit simpliste sous son premier degré, amène nécessairement un message, que Cronenberg a déjà exprimé sous sa propre plume (ex : The Fly, Crash), à un public plus élargi. Dans son mandat réaliste et dramatique, l’image est efficace, et le clin d’œil aux films d’action est bien rendu par le rythme, l’échelle de plans et les répliques et échanges de regards à moitié clichés. Il a les points positifs des films hollywoodiens, c’est-à-dire nous faire entrer efficacement dans une histoire à rebondissements, tout en ayant un second degré sémantique intéressant.
Évidemment, on est portés à ne pas voir la volonté de l’auteur derrière la forme simpliste; malheureusement, on peut facilement sortir du film en ayant manqué la majorité des éléments qui voulaient être transmis, particulièrement si on ne connaît pas la cinématographie de Cronenberg. En même temps, les attentes d’un film violent traditionnel ne seront pas totalement comblées, car on sent assez clairement l’ironie. La clarté du film peut s’arrêter au premier degré, et quiconque ne se met pas sur un mode critique peut voir le récit, sans voir l’énonciation derrière sa construction. C’est l’envers de la médaille à un type de film qui semble s’être construit de lui-même : on n’oublie trop souvent d’interpréter les éléments vers des thèmes plus subtils.
Sous cette optique, on pourrait dire qu’on touche le thème du pardon, mais à mon sens il s’agirait davantage du thème de l’acceptation de l’entièreté d’un individu, avec ses bons et ses mauvais côtés. L’harmonie doit se créer avec soi-même, mais ce combat, présenté ici au sens littéral, se passe aussi sur le plan familial, que ce soit dans les relations entre frères (Joey et Ritchie) ou avec sa femme et ses enfants. C’est le combat central du film que mènera Tom Stall, père de famille exemplaire dans cette petite ville des États-Unis.
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