Entrevue avec 2Faces

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Entrevue réalisée le 29 janvier 2007 et publiée à l’origine sur Hiphopfranco et archivée ici le 6 août 2019.

2Faces: « Ça a sûrement brassé quelques personnes pis déranger quelques personnes. À quelque part, y’a quelque chose qui représente l’essence même du hip-hop là-dedans, quelque chose d’assez brut comme son. C’est vraiment ce qu’on avait sur cet album-là alors on pouvait pas le marketer autrement. »

Environ 4 ans depuis son dernier solo, 2Faces revient avec Moi, 2Faces et Dirty, en magasin depuis le 23 janvier dernier. Petit retour en arrière sur son parcours, et survol général de sa pensée sur la situation du rap au Québec.

Depuis le début de ton parcours, t’as été dans la controverse. Avec la Constellation au début, puis avec le 83, mais peut-être pour des raisons différentes. Est-ce que la controverse a toujours été intentionnelle pour toi?

J’imagine que oui, mais peut-être plus dans mon subconscient. J’ai jamais vraiment planifié… à part peut-être le move de l’ADISQ. J’ai jamais vraiment planifié de faire un move pour en entendre parler. Mais, j’pense qu’autour de la controverse de la Constellation, c’était plus le fait que… bien, l’idée d’avoir mis du monde tous nus dans le clip avait fait jaser pas mal. C’était quand même mon gérant, faut que je lui donne. C’était son idée, y’a fait son travail, y’a fait faire le vidéo, y’a mérité son salaire. Après ça, avec le 83 , c’est venu pas mal plus naturellement, avec l’attitude, l’album, et tout ce qui avait dedans, ça a fait que ça a dérangé certaines personnes. L’ADISQ, oui, on voulait entendre parler un peu, parce qu’on trouvait ça vraiment… premièrement, moi, j’étais complètement outragé de ne pas avoir gagné cette année-là; en mauvais perdant que j’étais… Mais, bon, avoir perdu contre Muzion ça ne m’aurait pas dérangé, mais avoir perdu contre Dubmatique qui, bon, je sais qu’ils ont fait des grandes choses pour le hip-hop, mais cette année-là, cet album-là… ils n’étaient pas là pas en toute. On a vendu au moins 10-12 000 albums de plus, pis on était partout sur Musique Plus. Hiphop 101, ça a quand même marqué le rap québécois.

On peut pas dire autrement…

Exactement. Ça m’avait vraiment déçu, puis, en plus, c’était le gala hors ondes, alors, non seulement on n’avait pas le crédit, mais on avait aucune visibilité, on s’est vraiment fait emmerdés quant à moi. Là, on s’est dits, bon, comment on renverse ça, qu’est-ce qu’on fait? On a calculé ça, pis, le soir même, on a dit, bon, on fait un move, go!

Ça a vraiment fait bougé les choses, fait réagir, c’était un bon move. Bravo d’avoir fait ça.

Merci.

Pis, avec la Constellation, au début, y’avait une certaine controverse, peut-être parce que vous ne faisiez pas l’unanimité, dans le style que vous aviez. C’était aussi ça pour Dubmatique, c’est-à-dire que ça ressemblait plus au rap français qu’au rap « de rue » en quelque sorte.

Écoute, on était en 96 quand on a commencé à enregistrer des chansons pour cet album-là. Ça veut dire que j’avais à peu près 16 ans. On avait personne à regarder en avant de nous, y’avait pas de modèles québécois. Tant qu’à moi c’était un démo. Y’a plusieurs erreurs qu’on a fait sur cet album-là, et y’a plusieurs personnes qui l’auront fait, mais dans leur salon, sans que ça se rende à Musique Plus. Nous, pour cet album-là, quand on a été signés avec un label, on se cachera pas qu’eux ont vu le succès de Dubmatique : à ce moment-là, tout le monde voulait avoir un artiste rap dans son label. On signait La gamic, on signait La constellation, on signait LMDS, on signait Rainmen, y’a eu une vague. Nous, on n’était simplement pas prêts, là, c’est sûr, c’était un démo. On a enregistré ça avec les moyens du bord, on n’avait pas l’expérience qu’il fallait. Tout ça pour dire que, tant qu’à moi, si au moment de la signature on avait dit : « go, on fait un album », on aurait eu du temps en arrière de nous pis on serait arrivé à quelque chose qui ressemble plus à mon album solo.

Au moment où tu as sorti Berceau de l’Amérique, on voit justement que ton style a changé. Est-ce que c’est à ce moment-là que t’étais prêt à sortir quelque chose de plus sérieux?

J’pense que mon solo était très bien, y’a des classiques là-dessus que j’écoute encore. J’pense que c’est à partir de ce moment-là. Ça a pris La Constellation pour nous mettre un miroir. […]

Chose importante aussi, La Constellation a été dans les premiers groupes de rap québécois qui ont été diffusés, à Musique Plus surtout. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de gens qui ne connaissaient pas le rap et qui se sont mis à écouter par votre groupe. C’est un peu la même chose qui est arrivé aussi avec le 83, vous avez ouvert un assez large public au rap. Est-ce que tu penses que, aujourd’hui, on reconnaît le travail que vous avez fait comme vous le méritez?

Écoute, je ne sais pas. Qui je suis pour juger si j’ai le respect que je mérite? Une chose qui est sûre, c’est que je suis satisfait de ce que j’ai fait. Je suis bien content de sortir des projets comme le 83, Taktika , et mes albums solo. Si on a le respect qu’on mérite… j’imagine que oui. C’est sûr qu’on est des gars de Québec… je suis pas ancré ici à Montréal, mais, en région en tout cas, on a toujours été très très forts. Ici, à Québec, on ne se le cachera pas, que ce soit moi, SP ou Muzion, la majorité des albums se vendent en région de toute façon. J’pense que, ma récompense, je l’ai quand je fais des shows, dans des villes où je rencontre plein de nouveau monde, pis on fait une belle soirée.

Tu peux quand même voir que la foule est avec toi de ce côté-là.

Tout à fait.

On peut dire, avec le 83, vous aviez un âge d’or médiatique, y’a beaucoup de gens qui associaient carrément « rap québécois » au 83. On entend rarement parler des chiffres : est-ce que le nombre d’albums était vraiment représentatif de tout l’impact que vous aviez?

Oui, on a quand même eu des belles années avec 83, ça c’est sûr. J’te dirais que, sans prétention, on était de loin en avant du deuxième, avec Hiphop 101. On a vraiment senti par exemple le downloading nous rentrer dedans dans ces années-là. 2002, 2003, 2004, les ordinateurs, ça venait avec un graveur CD, c’était plus en option, c’était dedans, ça a paru. C’est ma compagnie, alors, ça me permet d’avoir vraiment les vrais chiffres, de bien évaluer la réponse du public.

Une chose aussi que j’ai trouvé intéressante avec le 83, quand on regarde ça aujourd’hui, les clips que vous aviez sorti étaient des tounes assez controversées, surtout dans les sujets. Des fois vous parliez, bon, de votre image, par exemple, la toune « 83 » comme telle, a pas nécessairement un sujet précis, c’est presque du brag tout le long. Ça a projeté une mauvaise image, d’une certaine façon pour certaines personnes. Pourquoi vous avez choisi ce genre de tracks-là comme singles ?

Parce qu’elle était bonne. Elle était bonne, pis ça c’est une track qui a été enregistrée bien avant 2001, ça a été faite autour de 99-2000, pis, elle a tellement eu un impact qu’on a décidé de la remettre sur l’album. Y’avait à peu près que le monde du 83 qui la connaissait… quand j’dis du monde du 83, j’dis, du monde de Québec, de la rive sud. Ça fait que, c’était nous autres, pis that’s it, man ! Pis, on était cinq, cinq MC’s sur des tracks, bon, on choisira pas toujours un sujet bien profond sur lequel on est les cinq d’accord.

En même temps, ça permettait aux cinq d’avoir la visibilité?

Exact. Mais, tu sais, quand on entend un posse cut sur une compilation new-yorkaise, what ever , Nas, DMX, Ja Rule … Les gars vont pas refaire le monde. Tandis que, sur l’album solo de Nas, le gars fait des textes.

Ça c’est sûr, mais, souvent les singles c’est pas les posse cuts où toute l’équipe est dessus.

Sur Hiphop 101, c’était pratiquement que des posse cuts , donc, à ce moment-là… c’est sûr que ça a eu cet effet-là. Ça a sûrement brassé quelques personnes pis déranger quelques personnes. À quelque part, y’a quelque chose qui représente l’essence même du hip-hop là-dedans, quelque chose d’assez brut comme son. C’est vraiment ce qu’on avait sur cet album-là alors on pouvait pas le marketer autrement.

Pour ton album plus récent, pour revenir un peu à aujourd’hui, vers quels sujets tu t’es orienté, est-ce que c’est un peu comme dans le 83, ou c’est vraiment plus personnel?

C’est plus dans le vibe un peu de Game Over, je fais le tour un peu. J’ai pas de plans; j’m’en rend compte en faisant des entrevues, j’me le fais demander. Je ne sais pas exactement quoi répondre. Mais à y repenser, je regarde les tracks de l’album, j’pense qu’il y en a un peu de toutes les sauces. Y’a des tracks un peu plus clubs, y’a des tracks un peu plus classiques, dans le vibe du 83, d’autres un peu plus introspectives. Y’a même une chanson sur laquelle je parle un peu des problèmes des jeunes au Québec à travers l’histoire de deux personnages. J’ai essayé d’être un peu large… à aucun moment, j’me suis dit, je vais faire une chanson comme ça, j’vais faire une chanson comme ça… C’est vraiment venu comme c’est venu. C’est un éventail assez large, même au niveau de la production. Y’a des gros bangers de club, que J-T m’a produit, j’ai des tracks pas mal plus soul de DJ Manifest , j’ai DJ Nerve qui a une petite touche old school , moi, j’ai posé une coupe de bangers dessus c’est sûr… C’est quand même assez large comme portrait. J’pense que j’aurais de la misère à dire quel genre d’album c’est.

Est-ce que t’as fait plus de tracks que ce qu’il y a sur ton album?

J’en ai coupé une coupe. J’avais deux gros singles radios, tight, quand même assez… très très commercial. J’ai décidé de pas les mettre, pour la raison que… j’m’en fou finalement. J’aime mieux satisfaire mon crowd que m’en trouver un nouveau. J’ai pas espoir de devenir riche avec le rap, si j’en vends 2 000, c’est 2 000, si j’en vends 12 000, c’est 12 000, tant mieux, c’est sûr que je vais le prendre. L’important, rendu où je suis, c’est d’être satisfait de ce que je fais.

Tu parlais tantôt du téléchargement de mp3, que ça avait affecté les ventes du 83. Est-ce que tu penses à ce moment-là que sortir un album rap au Québec c’est plus difficile que ça l’était au début?

Ça c’est certain. Écoute, du garbage comme La gamic, ça a vendu. Je vais le dire franchement, les albums de Hip Hop 101 , qu’on a vendu, c’est à peu près une douzaine de milles. Trois ans auparavant, ça aurait vendu une trentaine de milles. Maintenant, des albums comme Taktika qui s’est vendu 5 000, dans ce temps-là ça en aurait vendu 30 000.

Est-ce que y’a d’autres raisons possibles que le téléchargement? Est-ce que le rap a changé?

Non, pas du tout. Il s’en consomme encore plus, c’est juste qu’on le paye moins. C’est pas plus compliqué que ça : y’a autant de monde dans les shows. C’est sûr que les chiffres comme Dubmatique demandent beaucoup de succès radio pour en arriver là. Mais, écoute, les clips sont là, à Musique Plus, on a une belle visibilité, pas moins qu’on avait. Écoute, j’ai des kids, au Salon Pepsi Jeunesse, on va faire de la promotion des fois… Le kid, il se rend pas compte-là : « Hey, j’adore ce que tu fais, j’ai toute downloader ta musique… »; ou encore, faire signer sur un CD gravé aussi. C’est vraiment là, c’est une habitude de consommation : on parlait de cassettes audio tantôt avant l’entrevue : nous autres, on se cassait le cul pour faire un mix, pour conserver la qualité. On partait de l’original au moins, maintenant, t’as plus à faire ça. L’album de Nas, je l’avais trois semaines avant qu’il sorte, c’est ridicule.

Mais, ce que je me demande aussi, c’est que, la scène de rap québécois a beaucoup changé, c’est-à-dire que le public est plus large, y’a plus de gens qu’avant, mais d’un autre côté, y’a beaucoup plus d’artistes aussi. Est-ce qu’il y a un critère de qualité qui doit être plus haut que ce qui était au début?

Avec Internet, j’ai l’impression que ça fait l’inverse, y’a vraiment de la merde qui a un peu d’exposure. J’ai du respect pour la plupart des gens, pis j’pas le genre à aller cracher sur quelqu’un. Je vais peut-être lui faire des critiques constructives pour essayer de lui donner un coup de main, mais, de la merde c’est de la merde. Sur les sites internet, à gauche et à droite dans les radios underground, j’pense que y’a pas assez de filtrage qui se fait. À ce moment-là, y’a des gens qui ont enregistré n’importe quoi dans leur salon, avec leur ordinateur et un micro en prise 1/8. Pis, ça se ramasse là. C’est bon pour lui, peut-être qu’à force de travailler, il va arriver en quelque part. Sauf qu’en même temps, ça donne quoi comme portrait du hip-hop québécois… J’veux dire, j’assis un Français, un Américain, ou n’importe quoi devant l’ordi, il tombe sur un site québécois, y’écoute… ben, y’aura pas juste de la qualité. Tandis que, tu l’assois devant Musique Plus, ben, il va quand même y avoir un certain filtrage qui va se faire. C’est bien pour la vitrine, pour le développement, pour tout, mais ça ouvre aussi la place à plein de monde.

À ton avis, est-ce que Musique Plus est relativement satisfaisant comme visibilité pour le rap québécois?

Non, c’est sûr que non. Il nous manque une radio urbaine au Québec, c’est terrible.

Est-ce qu’il y a de la qualité pour qu’il y ait un contenu non-stop qui puisse être bon?

Urbain, ça peut être R&B, ça peut être bien des choses. Pas obligé d’être du rap 24 sur 24. J’pense que oui, y’aurait moyen de jumeler plusieurs styles et d’en arriver à quelque chose d’intéressant. C’est sûr que, faudrait pas juste passer du raggae, faudrait pas faire l’erreur que d’autres ont fait dans le passé. C’est arrivé sur une radio commerciale, et commencer à jouer un verse d’un Français quelconque sur un instrumental de Dr.Dre. Ça promouvoit [ sic ] aucun album. Faudrait approcher ça d’un point de vue plus commercial, aller chercher de la visibilité, jouer des singles et non des tracks d’album. Pour arriver à marketer des produits un moment donné. Moi, j’fais de la musique, mais, si ça nous permet pas d’en vivre, on en fera pas longtemps.

2Faces, merci pour l’entrevue. Bon succès pour ton album.

Merci, pis bonne chance, bon succès avec votre site. C’est très utile pour le hip-hop.

Merci à 2Faces & Véronique Côté.


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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