Discussion dans un café avec trois membres de Metazon Creation, Jaime Maldonado, qui s’occupe de tout le côté administratif, ainsi que les deux rappeurs du groupe Metazon, Beyondah et Don Coloma alias El Cotola. Ils clarifient leurs intentions avec le projet « Le rassemblement », qui regroupe de nombreux groupes de rap du Québec. Les artistes prévoient notamment des sorties d’albums live prochainement. Voici donc quelques extraits d’une longue discussion passionnée. Entrevue réalisée le 12 février 2007.
Le projet « Le rassemblement », qu’est-ce que c’est à la base? Comment c’est venu? C’était quoi l’idée derrière ça? Puis, qu’est-ce que ça a donné au final?
Don Coloma : « Le rassemblement », c’est pas mal les artistes qui ont quand même fait leur marque au Québec. Y’en a qui sont moins connus, mais basically, c’est vraiment une plate-forme que nous autres on met pour anticiper Metazon. C’est plus côté production, le son de Metazon. C’est un côté philosophique : on essaie de ramener le monde qui sont plus « backpackers » avec le monde qui sont « streets ». Le monde qui sont « backpackers », ils vont être puristes, ils vont faire de la bonne musique, ils vont faire des bons beats, mais je trouve que la majorité vont renier les streets. Ce qui fait qu’il y a une division : le monde qui sont plus streets, vont se dire que si eux autres renient la musique que les streets font, ils vont faire d’autres beats, des beats plus crunks. C’est là où ça commence à se détériorer, parce que le hip-hop, ça a été fait beaucoup pour les streets, pour les rues, une voie pour les minorités. Ce qui arrive maintenant, c’est que la division qui s’est créée fait que les streets ont leur propre son avec leurs propres productions, et ceux qui sont puristes ont leur propre productions, mais quand tu compares, dans les années 95, ou même encore Nas, c’est un gars street, mais il va arriver avec une musique que tu sens que c’est du vrai hip-hop. Quelqu’un qu’un « backpacker » va dire : « oh, shit, ça c’est du real hip-hop », mais quelqu’un du street va dire : « shit, j’relate à ce qu’il dit par rapport à ses messages. » C’est ça un peu Metazon, la philosophie de la rue avec la musique des puristes.
Beyondah : Dans le fond, c’est ça, « Le rassemblement », c’est mettre une plate-forme, justement, pour essayer de rallier ces deux divisions-là pour vraiment créer une unité. Pis, dans le fond, c’est ça que Metazon ça veut dire. C’est différents esprits, différentes façons de penser, qui mergent pour créer une seule entité, pour aller dans la même direction. Parce qu’à la base, c’est quoi la position, c’est hip-hop.
Metazon, ça se trouve à être vous deux aussi [Beyondah et Don Coloma]. Comment vous vous définissez en tant que groupe, en tant que duo?
Beyondah : Dans le fond, on représente la diversité ethnique de la réalité du Québec, plus Montréal parce que c’est là qu’on vit. Donc, c’est un peu de retourner aux racines, pis de rendre hommage à l’héritage qu’on a eu comme backup, pis de le mélanger dans la musique qu’on fait. En gardant le contact avec le passé, j’pense qu’on est bien positionnés pour savoir où est-ce qu’on s’en va.
Don : Le fait aussi que Montréal c’est une place où, toutes les ethnies, y’a beaucoup de mélange ici, c’est une des places où est-ce qu’il y a le plus de langues. Dans notre philosophie, nous, on trouve une richesse même dans le français, on trouve également une richesse dans le créole, dans l’espagnol, dans l’anglais aussi. On a été créé sur ça, on ne peut pas renier quelque chose qui nous a créé.
Sur « Le rassemblement », ça rassemble beaucoup d’artistes différents, qui ont un style assez différent dans certains cas. Est-ce qu’il y a une ligne musicale qui a permis d’unir tout ça, qu’est-ce qui fait que l’album se tient?
Don : C’est plus par la philosophie. Dans l’album, y’a des contrastes… Y’a S-Cro du C.R.E.A.M. Skad, comme y’a Face-T de Kulcha Connection, qui est complètement différent. L’un c’est une chanson dub, raggae, avec une chanson club, street. Pour montrer vraiment la diversité, on a fait vraiment exprès pour aller chercher le plus de diversité. Comme un buffet : t’arrives, t’as tout et tu prends qu’est-ce que tu veux. C’est là où est-ce qu’on s’en vient, avec les prochains albums, où on va être plus spécifiques avec c’est quoi vraiment Metazon. « Rassemblement », c’est vraiment pour dire au monde : « Okay, on est là, ça c’est toute la diversité qu’on a. » Puis, en même temps avec ça aussi on va pouvoir analyser ce que le monde va feel plus. Pis, une autre affaire, c’est que ça rassemble pas juste des MC’s, ça rassemble des musiciens. Y’a quand même pas mal de musiciens live qui jouent dans l’album.
Jaime : « Rassemblement », c’est comme vraiment le microcosme de la société québécoise, si tu veux. T’as des filles, t’as des musiciens, t’as des Blacks, des Latinos, t’as des Blancs. T’as tout, c’est comme un résumé de la richesse que le Québec peut avoir, si tout le monde canalise leur énergie vers l’avant. C’est surtout ça le but, montrer qu’on a tout ça; c’est un rassemblement qui existe pas, parce qu’en réalité les crews ont chacun leur clique. Mais, c’est, d’une certaine façon, une utopie, montrer ce qui pourrait arriver si tout le monde se mettait ensemble, tout en gardant le niveau professionnel dans la musique. […]
Vous dites que, plus tard, vous allez aller dans quelque chose qui est un peu plus votre musique. Vous parlez aussi de votre musique, vous la qualifiez de « World Hop ».
Don : C’est plus du Latin Funk. Parce que le hip-hop, les premiers débuts, les premiers breaks, au tout début, ça a été beaucoup des break-beats de funk, mélangés avec des mélodies sud-américaines. Musique des Caraïbes, musique du monde, mélangée avec des rythmes funks. Le funk représente l’antécédent du hip-hop. Avec du jazz bien sûr, du soul.
Jaime : C’est l’idée de toute musique aussi. Toucher le plus large possible de gens sur la planète.
Comment vous décririez votre son particulier par rapport à ce qui se fait présentement?
Don : Y’a pas de groupes hip-hop qui mélangent le latin, le funk et le jazz, au Québec, y’en a pas. Pourquoi? Parce que, majoritairement, ça reste une affaire quand même raciale : il va y avoir des Blancs qui vont faire des chansons ensembles, des Haïtiens qui vont faire des chansons ensembles, des Latinos qui vont faire du raggaeton, mais tu vois, nous autres, on représente un mélange de ça. Veut, veut pas, ça va toujours être mélangé, alors, c’est ça qui est différent.
Maintenant, au niveau des textes, bon, oui, la musique distingue les genres, mais la manière de parler aussi. Qu’est-ce qui peut, vous, vous caractériser?
Don : Notre philosophie. Politique aussi, on est quand même engagés à travers nos textes. Mais, en même temps, le « carnaval » aussi. C’est un mélange de carnaval aussi, parce que, dans nos pays, la première chose de la musique, c’est célébrer. C’est pas fait pour « bash » la tête, c’est fait pour le sentir dans ton soul : ça donne un bon mood.
Beyondah : Même quand tu célèbres, y’a le côté aussi conscient de ce qui se passe dans le monde. Metazon, ce qu’on fait, c’est oui, de la musique pour célébrer, mais même en célébrant, on va parler des contextes politiques, sociaux, la religion, la réalité des jeunes d’aujourd’hui, où est-ce qu’on s’en va en tant que société, la spiritualité aussi…
Don : …les thèmes tabous que le monde a peur de parler, des thèmes raciaux, politiques, spirituels. Mais ce n’est pas parce que tu parles de ces thèmes qu’il faut que tu ailles un beat, genre, symphonique où tu vois que c’est sérieux, non. Tu sais, Bob Marley, il faisait passer son point à travers des affaires que le monde danse dessus, mais y’a un point engagé. […]
Avec le « Black Album – Now or Never », vous avez vendu à la fois au Québec ou à Toronto. Qu’est-ce qui fait qu’un album se vend autant dans une ville francophone qu’une ville anglophone?
Don : C’est en étant vrais, en croyant à ta propre richesse. Récemment, on est allés à Toronto, […], au Canadian Music Week, CMW, le plus gros rassemblement de nouveauté au Canada. Ils présentent les démos de tous les labels : ils jouaient 15 secondes chaque label. Ça prenait 5 secondes, pis le monde se faisait ramasser, des chansons que t’aurais pu croire que ça joue à la radio, par exemple, une fille R&B, les gars ont dit : « vous venez du Canada, vous devez avoir une richesse différente du monde. » Ils ont joué notre chanson, pis on était le seul groupe qu’ils ont dit : « c’est qui ce groupe-là? » On s’est présentés, puis, on a été le seul groupe d’une vingtaine de démos à travers le Canada. On avait mis une chanson en français – c’était « Rassemblement » – pis le boss de BMG a dit : « c’est quoi cette chanson, j’aime vraiment beaucoup. » Y’a fait jouer d’autres chansons de nous, et on était le seul groupe qu’ils ont fait revenir devant le micro. Il nous a dit : « le problème au Canada, c’est que vous voulez trop sonner américains, et c’est ça qui est pas correct. Nous autres, on en a déjà un Dipset, on a déjà une Beyoncé, on n’en a pas besoin d’une autre. » […] On était le seul groupe qui était fiers du Québec, d’une autre langue. Mais ça ne veut pas dire que c’est dans une autre langue, que ça peut pas percer à travers le monde. […]
Jaime : Ce qui fait aussi la différence avec Metazon, c’est que, c’est sûr qu’on a tous le même background, on a grandit dans le hip-hop, on a passé du temps dans les rues, et tout, mais Metazon a jamais essayé de s’implanter dans un style de musique, le but c’est de faire qu’est-ce qu’ils aiment, même si ça sort des limites, c’est juste de faire de la musique.
Beyondah : On essaie de rester authentiques dans ce qu’on fait. Quand tu sors de ton élément, ça se sent. Ça se voit, le gars essaie d’être quelque chose qu’il n’est pas.
Don : On a toujours été comme ça, on a toujours été contre… tu te rappelles? Premier album, quand le bounce ça sortait, en 98, nous autres, on faisait ça dans ce temps-là parce que personne le faisait à Montréal. Là, plein de monde, genre, D-Shade nous disait : « Yo, qu’est-ce que tu fais, c’est phat, y’a personne qui fait ça. » Là à Montréal, tout le monde fait du crunk, tout le monde fait du bounce, on s’est dits : « tu sais quoi, fuck ça, on l’a déjà fait! » Moi, je veux pas faire ce que tout le monde fait. Si tout le monde demain fait du Latin Funk, on va changer notre affaire. Je veux pas faire qu’est-ce qui se fait déjà. Pis, j’pense que c’est ce qui fait notre marque, on essaie de faire quelque chose de différent.
En général, ce que j’ai l’impression, c’est que, bon, vous dites dans votre biographie que Metazon veut essayer de monter la qualité de ce qui se fait au Québec. Est-ce que vous pensez qu’au Québec en général les gens vont plus s’inspirer ou copier autre chose qu’être authentiques? L’authenticité est quelque chose qui manque sur la scène au Québec?
Beyondah : Il manque beaucoup d’authenticité. Y’a une bonne partie des groupes qui font bien leur travail, mais y’en a une trop grosse portion qui essayent d’être quelque chose qu’ils sont pas.
Don : Ils essaient de suivre une stratégie qui fonctionne. Dans le fond, y’a des bons MC’s, qui ont vraiment des skills, mais ils vont se dire, « ok, faut faire un beef, pour suivre la stratégie de ça, ça va fonctionner. » Ou encore, « là, le crunk fonctionne, donc, on va faire du crunk, quand dans le fond, moi j’trouve qu’y’a des MC’s qui ont vraiment des skills, mais que tout tombe à l’eau à cause de leur production, à cause de leur fausse image. Des jeux de mots incroyables, y’en a qui font des textes que tu vois qu’ils se forcent, mais ça veut rien dire, si tu fais tout ça et que tu mets ça dans des productions américaines, ou des productions que tu sais que t’as déjà écouté un million de fois, à quoi ça va servir? Ça se dilue.
Beyondah : C’est un gros problème. Ça m’enrage pis ça m’emmerde. De voir des groupes comme ça qui prennent de la place, qui prennent une partie du marché, mais qui projettent une image qui est pas la leur. Pis, en réalité, ces gars-là ils viennent dire : « I’m a hustler, j’ai du cash », mais en réalité le gars il prend le métro à tous les jours, pis il va dépenser 2000$ pour acheter une fuckin’ chaîne, quand y’a même pas d’auto. Là, c’est un manque de cohésion dans sa philosophie, dans qu’est-ce qu’il pense. […] C’est ça qui est un peu énervant, à Montréal spécifiquement, faut que ça change. C’est de là que je te parlais, la question de la maturité des artistes. Le public, des fois, il va pas aller plus loin que de voir ce qu’on projette au premier degré. Le public, oui, il a une responsabilité, mais à prime abord c’est les artistes qui doivent savoir qu’est-ce qu’ils font.
Jaime : Aussi, au niveau des standards de production québécoise, d’un point de vue extérieur. Le public, quand il regarde dehors, ça projette une image négative. Si ce qui sort, c’est poche, le monde qui écoute ça se dit que c’est ça le hip-hop au Québec, pour quelqu’un qui vient de France. Avec Metazon, c’est pas juste comparable à ce qui se fait ici, mais comparable à ce qui se fait à travers le monde, à Toronto, aux States. Pas faire la même affaire, mais voir au même niveau de professionnalisme. Par le fait même, c’est ça qui va rehausser le niveau ici. […]
Beyondah : Le but ultime de faire de la musique, c’est pour que tu la rendes accessible à tout le monde. Essaie d’avoir une idée globale, une idée plus universelle, plus « mainstream », avoir plus une façon de penser… être plus business play, « ok, on va attaquer tel marché, au Canada, whatever, essayer d’être plus stratégique dans le fond.
Est-ce que, selon vous, y’a trop d’artistes au Québec? Trop d’artistes qui ont trop de visibilité peut-être?
Don : Oui, j’pense que oui. À cause que l’accès aujourd’hui… n’importe qui peut avoir des studios maintenant. N’importe qui peut, demain, enregistrer une chanson avec un cheap mic pis le mettre dans Myspace, pis le monde vont commencer à se faire connaître. Les vidéoclips maintenant, toute la technologie est rendue vraiment accessible à tout le monde. Avant, le monde était limité, si tu voulais faire ça, il fallait être vraiment bon, vraiment sérieux. Maintenant, c’est là où il faudrait du monde plutôt du côté administratif, du côté télévisuel. C’est la faute aussi à la structure, c’est pas vraiment la faute aux MC’s, y’a les journalistes… c’est tout le monde qui est autour du hip-hop, j’pense que c’est leur responsabilité de dire : « ça c’est bon, ça c’est pas bon ».
Jaime : L’affaire, c’est que ça met tout le monde au même niveau. Tout le monde va sortir une affaire, donc, tout le monde a le niveau d’un MC qui a sorti quelque chose. Mais à la fin, y’a pas de visibilité pour les artistes au Québec dans le hip-hop. Si tu vas dans les médias mainstreams, t’as pas d’artistes qui passent à la télé, qui sont invités aux émissions de variété, ils vont jamais parler du hip-hop à Flash, des affaires de même. Tout le monde se bat pour avoir ce spot-là, donc, tout le monde sort ses shits. À la fin, ça fait juste contingenter le seul poste que tout le monde peut avoir.
Don : C’est la responsabilité de ceux qui sont dans les médias, de montrer la vraie musique, et d’être éduqués. Le fait que, le monde à la télévision, dans les médias, en cinéma, en journalisme, s’ils sont pas éduqués sur la vraie culture du hip-hop, n’importe qui va pouvoir sortir n’importe quoi pis ça peut être considéré comme bon. Check à la télé, quand il y a des controverses, ils vont nommer qui : Black Taboo, Omnikrom, … okay, j’ai rien contre, mais si c’est juste eux autres à chaque fois, est-ce qu’il y a un problème? Comment ça se fait? […]
Jaime : Beaucoup vont dire « le hip-hop, c’est des affaires de gangs, c’est violent ». Mais, pourquoi est-ce que c’est violent? D’où ça vient ça? Ils ne cherchent pas à savoir.
Don : Pourquoi le fléau des gangs de rue? Pourquoi y’a le monde qui sont dans le street qui veulent shine? C’est vraiment à cause de la musique? Non, moi, j’pense que c’est une sorte de brainwash qu’en même temps les médias font. Parce que comme ils disent, c’est un problème social. Les seules personnes qu’ils vont idéaliser, les jeunes de 13-14 ans, les seuls modèles qu’ils ont, c’est les gars avec les grosses chaînes. Ça commence dans l’éducation. Si ça devenait l’inverse : au lieu que ça soit les MC’s, ça soit la responsabilité des médias, qui se disent : « on va essayer de pousser les artistes qui ont vraiment une intégrité, qui ont vraiment un message à dire, de la qualité musicale »?
Propos recueillis par Simon Dor. Merci à Metazon Creations.
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