Le rôle de la mixtape (entrevue avec DJ Cut Killer)

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[…] on est pas non plus dans un cadre où il y a une commande de morceaux, et puis, derrière, on mixe les morceaux. Là, en occurrence, on a décidé, bien à l’avance, de travailler sur les morceaux, de choisir les instrus, les thèmes. C’est vraiment comme un album, sauf que là, on a travaillé d’un commun accord avec le groupe.

DJ Cut Killer

Avant la sortie de l’album du groupe IAM, prévue pour le 2 avril, le groupe a créé une mixtape avec DJ Kheops et DJ Cut Killer. C’est donc d’abord pour ce projet-là que je me suis entretenu avec Cut Killer.

Quelles étaient les intentions avec ce projet-là, et à quoi ça ressemble au final? Comment tu le décrirais?

Depuis pratiquement huit mois, déjà, on voulait faire une mixtape, avec IAM, parce que c’était nécessaire de revenir sur le devant de la scène, avec un élément intéressant que sont les mixtapes. Donc, forcément, on en avait parlé depuis un certain temps, parce que c’était intéressant de revenir, avant la sortie de l’album Saison 5, avec une mixtape. En l’occurrence, quand on dit mixtape, c’est vraiment un travail de DJ, c’est-à-dire, mettre des morceaux inédits, des morceaux si possible par rapport à des droits de sample, qu’on ne peut pas avoir – bon, tu sais comment ça se passe. Ça met beaucoup de temps, et il y en a qui refusent systématiquement. Donc, là, on était relativement libres de faire ce qu’on voulait. Et, donc, du coup, c’était intéressant d’aborder aussi d’autres thèmes, et de donner une couleur d’IAM après Revoir un printemps qui serait, pas différente, mais qui serait dans l’acabit de l’École du micro d’argent et la Saison 5.

On a reproché à Revoir un printemps un style, bon, disons, un peu moins « underground ». C’est au niveau des sonorités que c’est différent?

Là, on est vraiment dans une couleur entre L’École du micro d’argent et Saison 5, le nouvel opus. C’était vraiment une manière de passer d’un album anthologique au nouvel album qu’est la Saison 5. Les mixtapes servent un peu à ça d’une certaine manière : c’était vraiment de mettre de l’avant l’aspect « actualité », en même temps inédit. Donc, c’était vraiment une bonne opportunité.

La mixtape, au fond, c’est celle d’IAM, sauf que, ton rôle et celui de DJ Kheops sont un peu mis de l’avant parce que c’est une mixtape.

Plus que ça, c’est-à-dire qu’on est pas non plus dans un cadre où il y a une commande de morceaux, et puis, derrière, on mixe les morceaux. Là, en occurrence, on a décidé, bien à l’avance, de travailler sur les morceaux, de choisir les instrus, les thèmes. C’est vraiment comme un album, sauf que là, on a travaillé d’un commun accord avec le groupe, et puis aussi les membres de La Cosca : Veust LyricistChiens de paille, ou Bouga. C’est plus qu’un travail de pousseur de disques.

Autre point aussi au niveau des thématiques. Selon la pochette, on voit une thématique reliée au Seigneur des Anneaux, qui rappelle des sujets épiques de l’École du micro d’argent , par exemple. Est-ce qu’on y va avec des thèmes précis ou c’est vraiment libre de ce côté-là?

Le Mordor, forcément, a été une dynamique, puisque c’est un thème qui revient relativement souvent, et qui est utilisé aussi bien dans l’album que dans la mixtape. C’est vrai que, au départ, quand on écoutait ça, avec Kheops, on se disait : « ah, ouais, c’est vrai, le Mordor il est bien présent. » On est vraiment dans le concept du Seigneur des Anneaux. Comme à l’époque d’Ombre est lumière, on était dans le concept de Star Wars. Là, c’est intéressant de travailler là-dessus. C’est pour ça que, sur la pochette, effectivement, on est partis un petit peu dans le concept du Seigneur des Anneaux.

Je regarde ça, dans le contexte d’aujourd’hui, IAM est un groupe connu. Le rôle des mixtapes a souvent été de faire connaître des groupes. Là, IAM utilise la mixtape non pas pour se faire connaître, mais peut-être pour profiter du fait qu’ils n’ont pas à se contraindre – comme tu disais tantôt – aux droits d’auteur avec les samples et tout ça.

Surtout aussi, de mettre une autre couleur qu’ils ont pas eu le temps de mettre sur leur album. Une mixtape, ce qui est assez bien, c’est qu’on est assez libres. On peut aller très loin. C’est ça le plus important.

Ce que je me demande, c’est, dans le contexte actuel, est-ce que le rôle des mixtapes a modifié par rapport à ce qu’il a pu être dix ans auparavant. Aujourd’hui, ce n’est plus sur des cassettes, généralement, c’est sur des CD’s, et avec le téléchargement de mp3, les artistes peuvent se faire connaître de cette façon-là aussi. Est-ce que le rôle d’une mixtape est plus le même que ce que c’était au début?

Disons que, comme aux États-Unis, la mixtape a toujours été là pour promouvoir les jeunes artistes et les artistes confirmés. Là, en l’occurrence, c’est donner un petit avant-goût à l’album, et essayer de mettre en avant une couleur de l’univers d’IAM en 2007. C’est vrai que, quand on a discuté de cette mixtape – parce qu’il n’avaient pas de mixtape depuis la première cassette – donc, pour moi, ça me semblait intéressant, après avoir fait une mixtape ensemble, il y a un peu moins de dix ans, de revenir avec un concept comme celui-là. Pour moi, c’était important en tout cas, puisqu’on a une très bonne relation, avec les membres du groupe. Et donc, du coup, on est partis sur, se lâcher comme on pourrait se lâcher sur un projet, sans contraintes. C’était une bonne expérience et c’était intéressant pour IAM de revenir avec autre chose que des albums qui sont formatés, et de dire « voilà, on doit faire que comme ça ». Là, en l’occurrence, c’était une bonne expérience – pour tout le monde aussi : on a tous appréciés le concept de faire cette mixtape.

Autre chose par rapport à ce projet-là : dans les mixtapes, les DJ’s sont mis de l’avant, ce qui est rarement le cas, on peut dire de moins en moins le cas d’un DJ au sein d’un groupe, par exemple. Le rôle du DJ est un peu moins mis de l’avant que ce qu’il était, disons, dans les débuts du rap. Est-ce que toi, en tant que DJ qui a un peu fait tout ce parcours-là, est-ce que ça a changé quelque chose par rapport à la perception que les gens ont de ce que tu fais?

Forcément, les mixtapes existent aussi pour nous mettre en avant. Aujourd’hui, c’est vrai qu’on n’a pas trop de choix que de faire des mixtapes pour faire ce qu’on a envie de faire. Quand on s’amuse à mettre de l’avant des artistes et des groupes, c’est via le concept de la mixtape. Aujourd’hui, on s’est créé un réseau, on a essayé de trouver une direction par rapport aux mixtapes, pour pouvoir créer notre propre marché. On n’a pas le choix, et en même temps c’est comme ça que ça se passe. Je pense que c’est important pour un DJ d’avoir quelques mixtapes. Même si un moment donné, c’est vrai que je l’avais mis de côté, du fait que je faisais des compilations, et que je faisais plein d’autres choses. Je suis revenu sur le marché de la mixtape l’année dernière, parce que, en tout cas en France, il était relativement mis de côté. Les DJ’s avaient complètement zapper le concept, c’était devenu un peu n’importe quoi. On essaie de trouver une direction et on s’y tient.

[…] Ici, on n’a pas accès aux shows en France, on ne voit pas ce qu’il y a sur le terrain directement, donc on a aussi moins accès aux mixtapes. Le rayonnement du rap français n’est pas ce que vous vous voyez. Est-ce que toi, personnellement, tu en es satisfait de cette image, par rapport au rap français à l’international?

Aujourd’hui, c’est relativement compliqué de travailler à l’international, en tout cas pour le rap français, de s’exporter. On a toujours eu du mal, du fait de la langue. Ce qui est dommage, c’est que, effectivement, le Canada, qui est censé être notre deuxième maison, finalement, elle est très loin. On arrive à faire plus de bruits en Allemagne, en Suisse, en Belgique, et dans d’autres pays qui ne parlent pas forcément français qu’au Canada. […] C’est un peu dommage de pas aller souvent au Canada, essayer de représenter la culture du rap français. Au-delà de ça, en terme d’international, comme tu le sais, le rap français n’est pas non plus le plus connu dans le monde. Mais, il est respecté et on essaie de le mettre de l’avant grâce à des projets. Quand j’avais discuté avec Whoo Kid, le DJ de 50 Cent, de faire une mixtape ensemble, il a dit « ben oui, pourquoi pas? ». Surtout que lui, il est Haïtien et qu’il parle un peu français, donc, c’était intéressant de mettre un peu de l’avant le rap français. À chaque fois que j’ai des artistes américains à mes émissions de radio, ou que je les rencontre aux États-Unis, ils me parlent d’une seule personne, c’est MC Solaar. Un moment donné ça devient restreint, et ça devient compliqué d’avoir une discussion quand les gens ne sont pas au courant de ce qui se passe. On a sorti le mixtape aussi bien aux États-Unis qu’en France, donc, c’était un assez beau projet, qui fait qu’aujourd’hui on essaie d’exporter le maximum. […] Il y a un réel marché, qui existe depuis 12 ou 13 ans, qui fait qu’on arrive à se faire respecter.

On parlait d’entendre seulement MC Solaar. Bon, c’est sûr qu’ici, au Québec, on s’intéresse beaucoup à la scène de rap française. Est-ce que tu penses que, les rappeurs underground, Internet peut être une solution pour les faire connaître au Québec ou dans les autres pays francophones?

De toutes les façons, à terme, on est tous voués à travailler sur le net. C’est un des marchés les plus expansibles. Donc, on essaie de se faire de la promo via Internet. Je pense que c’est effectivement intéressant. Personnellement, je pense que, de faire des blogs, des sites ou des myspace, montre à quel point Internet est devenu un élément principal – en tout cas pour les jeunes.

T’as aussi fait plusieurs pièces pour le cinéma, par exemple, ta première apparition c’était dans La haine de Mathieu Kassovitz. Quand tu crées pour un film, est-ce qu’il y a une différence dans la façon dont tu vas créer ta musique?

Ça dépend. Quand tu discutes avec un artiste et qu’il a une idée précise, tu fais en fonction de son idée : c’est d’aller aussi loin que tu peux. Quand tu te retrouves devant une image, de film, de court-métrage ou de clip, t’as envie de marier la musique avec l’image. Le feeling, les impressions que tu peux avoir dans ta tête, et que tu peux retranscrire via la musique quand tu vois une scène, c’est ce qu’il y a de plus intéressant. En général, même si j’ai une direction par rapport au scénario, j’aime bien travailler l’image, parce qu’on donne vraiment l’intensité au maximum, et on essaie quand même de trouver des angles intéressants. Après, c’est en fonction, quoi. […]

IAM, eux, vont lancer un album en avril. Toi, cette mixtape-là, qu’est-ce que ça va te permettre d’annoncer dans les prochains mois? Est-ce que t’as d’autres projets qui s’en viennent?

La mixtape est rentrée dans le top, à la 48ème place. Ils sont très contents de la manière dont ça se passe. Ça nous donnera une bonne vision de l’album qui sortira dans moins de quinze jours. Ça c’est une bonne chose. Après, ils vont sortir l’album, ce qui n’est pas nouveau! Moi, je continue encore mes mixtapes, j’ai énormément de projets de mixtapes qui sont sur le feu, et pratiquement une par mois qui sort. Pour ma part, c’est vrai que je travaille sur ce concept-là, parce qu’on a besoin d’avoir un marché ici qui soit intéressant, parce que ça devient de plus en plus restreint en terme de radio de pouvoir diffuser tout ce qu’on veut.

C’est sûr, au niveau des droits d’auteurs, et tout ça. Mais, est-ce que vous avez un problème de distribution, de diffusion?

De distribution, non. Mais, de diffusion, ça devient de plus en plus restreint. Aujourd’hui, les radios n’utilisent pas forcément les DJ’s pour mettre en avant les titres. Si t’as pas un morceau mainstream, et bien, c’est déjà compliqué. De se faire un buzz, il faut vraiment avoir une équipe derrière soi, avoir Internet, c’est quand même un vrai travail. Il faut travailler, c’est pour ça que j’ai lancé une connexion qui s’appelle Street français, où ça roule plein de nouveaux artistes et de nouveaux morceaux qu’on sort relativement régulièrement : tous les trimestres. Quant à moi, j’ai énormément de mixtapes. J’ai une mixtape avec DJ Camilo, qui est à New York. On finit une mixtape avec Passi, qui sortira le 2 avril, en même temps que l’album d’IAM. J’ai une mixtape avec le premier DJ allemand, qui s’appelle DJ Tomek, pour le marché allemand; c’est une combinaison de français et d’allemand. J’ai une mixtape qui s’appelle Opération freestyle Maroc, avec des artistes marocains qui, forcément, ça va sortir là-bas et ici. Y’en a plein! Ça va jusqu’à octobre pour l’instant.

Merci Cut Killer! J’espère que pour les prochains projets, il va y avoir autant de visibilité que pour celui-là.

On va essayer en tout cas. Pour ma part, je risque de venir en juin à Montréal.

Image tirée de Rakuten.

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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