Je viens de comprendre ce qui faisait que j’avais une énorme réticence lorsqu’on parlait de Jean Rouch, et particulièrement lorsque je lisais des textes sur son oeuvre. Il est au centre de plusieurs des séances du cours Cinéma documentaire, et c’est dans un texte du recueil que j’ai vu une contradiction intéressante qui m’a révélé ce qui me tracassait.
Je commence donc en vous présentant un doute que l’auteur, Marc Henri Piault, exprime quant à un film de de Latour:
Lorsqu’en 1984, Éliane de Latour filmait, au Niger et en pays mawri, la vie d’un souverain dont la fonction s’était réduite à celle de chef de canton[26], le risque également était, par proximité avec un personnage habitué à la représentation et détenant encore un certain pouvoir, de fabriquer un portrait plus hagiographique que critique (Piault 2000, p. 206, c’est moi qui souligne).
Piault pointe du doigt les risques d’un projet tel que celui de la cinéaste, et est parfaitement conscient qu’il y a un risque d’hagiographie. Et voilà qu’il continue, à la page suivante:
Certains cinéastes, comme Jean-Luc Godard, pensent que Jean Rouch a ouvert la voie de la Nouvelle Vague du cinéma français et c’était, bien entendu, parce qu’il tarabustait les règles et inventait une nouvelle façon de filmer. De la même façon, parce que ce cinéaste parle l’Afrique comme sa langue maternelle et que ses contes sont naturellement enchantés, on se demande presque si l’Afrique n’aurait pas été inventée par Rouch: c’est qu’il est sorti des façons conventionnelles de la considérer (Piault 2000, p. 207-208, l’italique est de l’auteur).
Le risque d’hagiographie semble toujours très grand lorsqu’on se met à parler de Jean Rouch, mais Piault va plus loin que s’aventurer sur un terrain glissant: il arrose le terrain et glisse les yeux fermés sur la banane glissante qu’il vient d’y installer.
Texte: Marc Henri Piault, Anthropologie et cinéma, Paris, Nathan Cinéma, 2000.
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