Lors de ma lecture d’un entretien avec Abbas Kiarostami, je suis surpris de constater qu’il semble adhérer à l’idée qu’un auteur doit tout connaître sur son univers diégétique, même ce dont le texte filmique n’évoque pas:
Cela me fait penser à une anecdote sur Balzac qui, lors d’un Salon, s’attarde devant un tableau représentant une ferme avec une cheminée fumante dans un paysage neigeux. Il demande au peintre combien de personnes vivent dans cette maison. Le peintre répond qu’il ne sait pas. Balzac rétorque: « comment cela se fait-il? Si c’est toi qui a peint ce tableau, tu dois savoir combien de personnes y habitent, quel âge ont les enfants, si leur récolte a été bonne cette année et s’ils ont suffisamment d’argent pour donner une dot de mariage à leur fille. Si tu ne sais pas tout sur les personnes qui habitent cette maison, tu n’as pas le droit de faire sortir cette fumée de leur cheminée. (Kiarostami, cité dans Nancy, 2001 : 93)
Difficile d’être d’accord avec lui, dans la mesure où ces éléments ne sont ni dans le texte, ni déductibles de celui-ci.
Un peintre doit connaître ce qu’il ne montre pas. Sur ce petit cadre qui lui appartient, il doit tout savoir. (Kiarostami, cité dans Nancy, 2001 :93)
Au-delà de ma rétience face à l’aspect prescriptif de son intervention (l’utilisation du verbe « devoir »), l’auteur a-t-il le contrôle sur le hors-champ, cet espace par définition déduit par le spectateur? Dans certains cas, son intervention sur l’information qu’il donne au spectateur peut entraîner un hors-champ assez précis, mais certaines déductions sont incontrôlables. A-t-il de toute façon l’autorité de déterminer ce qui est vrai ou faux parmi ce qui n’est pas montré ni déductible? Roland Barthes s’est déjà penché sur la question, sur laquelle j’aime bien revenir de temps en temps (et sur laquelle je reviendrai probablement beaucoup plus exhaustivement un jour).
J’avoue que tout ceci m’a fait pensé à la controverse récente à propos de l’homosexualité de Dumbledore. Difficile de dire que Dumbledore est homosexuel, puisque rien n’est spécifié dans le texte [je ne viserais pas à prouver qu’il est hétérosexuel, car rien n’est mentionné là-dessus non plus]. Je ne suis pas adepte de la théorie qui veut que l’auteur, lorsqu’il dit quelque chose sur son oeuvre, en soi le maître même une fois celle-ci terminée. Même Rowling met des nuances, rejetant de ce fait l’idée que son intervention hors du texte soit prise comme une vérité absolue: «Pour être franche, j’ai toujours pensé que Dumbledore était homosexuel» (c’est moi qui souligne).
Tout ceci pour revenir à Kiarostami qui, un peu plus tôt que son intervention précédente, donnait les clefs qui permettaient de le contredire.
Chacun construit son propre film, qu’il adhère à mon film, le défende ou s’y oppose. (Kiarostami, cité dans Nancy, 2001 : 89;91)
Référence
Jean-Luc Nancy, L’évidence du film: Abbas Kiarostami / The evidence of film : Abbas Kiarostami, Bruxelles, Yves Gevaert, 2001, 95 p.
Image tirée de Goodreads.
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