À la suite d’Yvan, c’est à mon tour de manifester mon appui à l’intervention d’André Habib sur le formatage d’un documentaire. Les producteurs du film Hommes à louer de Rodrigue Jean, documentaire sur la prostitution masculine, veulent ainsi obliger son réalisateur et son monteur à en faire une version écourtée, adaptée peut-être à un certain public.
J’apprécie particulièrement les propos d’André Habib, pour l’avoir lu un peu et l’avoir eu comme prof pour le cours Courants du cinéma contemporain. Vous avez peut-être constater que mon blog a très peu de billets d’opinion: je ne me sens pas encore une autorité pour être capable d’argumenter sur des questions qui touchent le jugement des oeuvres elles-mêmes: j’admire le fait qu’Habib sache argumenter avec une rigueur exemplaire.
Le reproche du manque de point de vue
Il est intéressant de noter que le « manque » de point de vue est l’un des éléments qu’on reproche au film. Comme si l’exposition de faits avec prise de position était la seule manière valable d’exposer une situation problématique, alors que bon nombre de cinéastes ont prouvé qu’ils étaient capables du contraire (que Bazin appelait les cinéastes de la réalité versus les cinéastes de l’image).
Que reproche-t-on au film ? Son absence de « point de vue », la multiplication des « personnages » qui rend difficile « l’identification » (c’est leurs mots, qu’on me les explique). Car pour eux un film, tout film, est potentiellement un arbre livré par le réalisateur qu’il s’agit d’émonder afin qu’il cadre avec une forme que les producteurs-distributeurs-télédiffiseurs ont dans leurs têtes, et qui serait la seule, la vraie, l’unique façon de parler de « ce monde-là » pour que ça « pogne », pour qu’ils puissent mettre leur estampille d’approbation sur un film : « si tu me coupes tel ou tel personnage, si tu enlèves celui qui est violent, celui qui a été abusé, si tu tailles dans les références trop nombreuses à la drogue, si tu me ramènes ça à une heure et quart, on pourra plus facilement s’identifier et ton film sera plus « punché » » (c’est leur idée). (Tel quel)
Il importe qu’il persiste un cinéma qui conserve une certaine vision de la réalité, une vision où la prise de position ne tente pas d’émaner du film lui-même mais de la tête du spectateur.
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