Ethnocentrisme linguistique

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Jean-Claude Monneret, linguiste français, a jugé bon de répondre à Ivon Balès, à propos d’une lettre publiée dans le Devoir contre une mesure du gouvernement français concernant les langues régionales. Son argument principal est que la mesure permet la présence des langues régionales, tout en assurant la présence du français comme seule langue de communication officielle. Il croit que la cohésion française réside dans cette cohésion linguistique, qu’il oppose à d’autres pays qu’il juge monoculturels, notamment l’Allemagne, qui n’auraient selon lui pas eu à s’unifier, et desquels la France aurait été dépendante si elle n’avait pas procédé à cette imposition linguistique.

C’est principalement dans ses affirmations concernant une certaine hiérarchie aux langues que son raisonnement m’embête. Dans son argument, il oublie de définir clairement ce qu’il entend par « dignité » :

Ensuite, contrairement aux affirmations un peu aventurées de Ivon Balès, toutes les langues n’ont pas la même dignité. Même si l’on est linguiste — et c’est mon cas — et convaincu de la nécessaire pluralité et survivance de toutes les langues, on ne peut mettre sur le même plan ce qui est une grande langue de culture et un dialecte appauvri. Existe-t-il un Rousseau en occitan, un Tocqueville en basque, un Balzac en ch’ti pour faire allusion à un film récent, un Stendhal en breton, un Montesquieu en catalan?

Si une grande langue est vecteur de culture, on voit mal ce que les langues régionales auraient à nous proposer au-delà du folklore touristique. (Jean-Claude Monneret, « Libre-Opinion: La pertinence des académiciens » , 2 juillet 2008)

Il me semble très facile de dire ça quand on parle français. Qu’en est-il des langues que l’on ne maîtrise pas? Ça me semble complètement subjectif et ethnocentrique que de dire que la langue que nous maîtrisons est plus riche que d’autres « dialectes appauvris ». Par ailleurs, ce linguiste semble inclure dans sa définition de dialecte le catalan, le breton, le basque, …

Je vois ce rapport de supériorité entre les langues plutôt comme la manifestation intellectuelle de « la loi du plus fort ». J’aime bien illustrer ce phénomène par ce proverbe turc (que je tire d’une citation de Civilization IV): « Si tu dis vrai, met le pied à l’étrier. »

L’un de mes profs d’histoire, au secondaire, nous rappelait que c’était la plupart du temps les vainqueurs qui écrivaient l’histoire des vaincus. Une manière de se rappeler d’une part que l’histoire est nécessairement subjective, mais qu’elle peut l’être de surcroît dans la subjectivité de gens qui ont avantage à la décrire d’une telle manière.

Il me semble qu’il y ait un nom précis à ce phénomène, ou une expression, qu’il semble que j’ai malheureusement égaré.

Enfin, bref, tout ça pour dire que, oui, c’est nécessaire qu’on ait des langues fonctionnelles qui nous permettent d’échanger partout dans le monde, mais au nom de quoi pouvons-nous affirmer qu’elles sont plus « dignes »?


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Une réponse à “Ethnocentrisme linguistique”

  1. Avatar de Feel O'Zof

    Ça m’étonne qu’un linguiste puisse avoir des propos aussi ethnocentriques envers ceux qui ne parlent pas le même dialecte que lui.

    Sa réplique de « Existe-t-il un Rousseau en occitan, un Tocqueville en basque, […] » me rappelle d’ailleurs un argument utilisé par les nazis*, c’est-à-dire lorsqu’ils soutenaient que comme tous les grands inventeurs de l’époque et que tous les peuples conquérants de l’histoire (telle qu’on la concevait alors) étaient soi-disant de « race aryenne », alors cette race aryenne était nécessairement supérieure à toutes les autres. Pourtant si Rousseau aurait parlé occitan, sa philosophie n’aurait pas été « plus pauvre » pour autant.

    Par ailleurs la notion de « dignité des langues » employée par ce soi-disant linguiste est totalement vide de sens. C’est comme « la pureté de race » ou le fait d’être « supérieur dans l’évolution ». C’est une tentative de hiérarchisation entre différentes variantes d’un trait qui, par sa nature même, ne peut être sujet à la hiérarchie. Ce serait comme dire que le bleu est une « meilleure couleur » que le rouge… ça ne voudrait strictement rien dire.

    Bref, je suis d’accord avec toi, ce gars-là dit n’importe quoi. Je pense qu’on devrait lui retirer son titre de linguiste car on voit clairement que des biais culturels interfèrent dans la scientificité de son opinion au sein même de son champs d’étude.


    *Même si comparer l’adversaire aux nazis semble être la façon facile de démoniser quelqu’un, dans ce cas-ci la comparaison avait sa place.

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


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