J’ai déjà affirmé chercher le « degré zéro » des choses, c’est-à-dire tenter de trouver des concepts qui puissent unifier une pensée en un système cohérent, suivant Socrate. Il semble que Jean-François Lyotard propose une manière de penser qui aille à l’encontre de celle-ci.
La définition générale versus le jugement indéterminé
Plutôt que de chercher une définition générale, des concepts bien définis, Lyotard préconise un jugement indéterminé, c’est-à-dire un jugement qui ne se base pas sur des préconceptions. Lyotard définit l’événement comme quelque chose qui ne s’inscrit pas dans une totalité, dans un « grand récit » qui lui confère un sens. En fait, une fois qu’on l’inscrit dans ce système logique de causalité, il perd quelque chose, que Lyotard nomme « l’événementialité ».
Qu’est-ce que l’événement?
L’événement se définirait simplement comme tout ce qui ne peut se réduire à un système linguistique (ou autre) fondé sur des oppositions. Il brise les cadres référentiels qui tenteraient de l’englober (ou, à l’inverse, ces cadres référentiels le briseraient en tant qu’événement). On peut douter de son existence. Mais j’ai souvent l’impression de ne pas être en mesure d’expliquer certaines choses en les réduisant à un concept unificateur. Je tente parfois moi-même de trouver des principes qui unifieraient ma pensée en certains « critères » communs. Nous faisons parfois bien des choses inexplicables, sans raison(s), qu’on n’arrive pas à réduire à notre plus simple expression, et qui perdraient probablement une bonne couche de sens si on tentait de les unifier dans l’ensemble logique de nos actions.
La limite du jugement indéterminé
Mais, en même temps, ce jugement indéterminé me semble impossible. Peut-on arriver devant quelque chose sans appréhensions? Arriver devant un film sans attentes, c’est plutôt inconcevable, ne serait-ce que d’avoir l’attente qu’il y aura des images qui apparaîtront, des sons qu’on entendra, etc. Le jugement indéterminé me semble utopique, mais c’est peut-être l’idée d’un jugement indéterminé qui est réaliste.
Je ne suis par contre pas encore positionné à savoir si l’idée d’un jugement indéterminé n’est pas elle-même un système logique, une manière d’appréhender les choses de telle sorte qu’on s’attende à ce qu’elles ne puissent pas s’inscrire dans notre système logique habituel. Toutes ces réflexions me viennent du séminaire Cinéma, littérature et médias donné par Silvestra Mariniello, et dans le cours, certains évoquaient des films précis comme « catalyseurs » d’événements (disons-le comme ça). Pourtant, je ne peux me faire à l’idée que les spectateurs qui vont voir, par exemple, un film de Gus Van Sant, n’ont pas d’appréhensions quant au type de contenu qu’ils vont voir; même le premier film de Van Sant qu’on a pu voir a (probablement) rapidement fait jaillir tout un type de cinéma qu’on peut avoir connu avant. Le premier de ce « type » était peut-être un événement, mais j’ai de la difficulté à croire que notre souvenir de cet événement ne se soit pas modifié à travers les discours qu’on a pu entendre sur ces films dans nos cours de cinéma.
Utopie, peut-être. Mais utopie très intéressante à réfléchir à.
Références
Lyotard, Jean-François. 1971. Discours, figure. Paris : Klincksieck. 428 p. [info]
Readings, Bill. 1991. Introducing Lyotard. Art and Politics. London/New York : Routledge. 184 p. [info]
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