Quelques spoilers sont à prévoir ici.
En sortant de l’audiovision du film Harry Potter and the Half-Blood Prince (David Yates, 2009), quelques amis et moi discutions de l’adaptation du film. Les questions typiques en fait: « pourquoi enlever tel élément? », « pourquoi ajouter tel élément? », etc.
N’oublions pas qu’une quantité phénoménales de films considérés comme des chefs-d’oeuvres sont des adaptations de romans, auxquels ils n’empruntent parfois que des bribes, et emploient le terme « adaptation » peut-être strictement par honnêteté intellectuelle.
Bref, je me dis qu’il peut être intéressant de se questionner sur l’adaptation et le public. Rapidement, quelques liens que j’ai fait.
Le concept d’horizon d’attentes
Je commence en citant un long passage du Pour une esthétique de la réception de Hans Robert Jauss, que je reformulerai en utilisant strictement ce qui nous servira ici:
L’analyse de l’expérience littéraire du lecteur échappera au psychologisme dont elle est menacée si, pour décrire la réception de l’œuvre et de l’effet produit par celle-ci, elle reconstitue l’horizon d’attente de son premier public, c’est-à-dire le système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux: l’expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d’oeuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne (1978, p. 49).
Au-delà de la difficulté méthodologique qu’il y a à concevoir ce qu’est le public en tant qu’ensemble à une certaine époque, nous pourrons ramener ce concept en des ensembles plus petits, en le pensant en tant que types de publics. Jauss note en second point l’importance de « la forme et la thématique d’oeuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance »; autrement dit, il suppose certaines oeuvres présupposent que nous connaissions certaines oeuvres antérieures, que nous ayons un certain bagage ou certains scénarios intertextuels (pour parler dans un langage qui lui est anachronique). Comparons rapidement en ce sens deux types de spectateurs : ceux qui ont lu le livre, versus ceux qui ne l’ont pas lu mais qui font quand même partie du public cible.
Deux publics, deux attentes
Je pourrai probablement facilement vous convaincre que le public qui n’a pas lu le livre est celui susceptible d’être le moins irrité d’avoir affaire à des modifications vis-à-vis du livre. Il devient en ce sens très facile pour des producteurs d’insister peu subtilement sur des éléments mineurs du livre mais qui ont fait leurs preuves ailleurs : l’amour, par exemple. Au nom aussi souvent de « l’esprit du livre », on modifie des éléments, mais qui la plupart du temps ne donnent évidemment pas le même esprit (en tout cas, dur défi que de tenter de défendre qu’il subsiste un esprit au-delà des particularités de chacun des deux médias impliqués dans l’adaptation).
Le public qui a lu le livre, lui, veut-il « revivre » la même expérience que le livre? Il y a un plaisir à revivre quelque chose qu’on a vécu au préalable. Mais est-ce possible d’être vraiment satisfait d’une adaptation? Quelque part, en sortant du film, je me suis dit que, de toute façon, j’avais lu le livre, pourquoi ne pas admettre que je peux vivre quelque chose de différent, avec une sorte d’impression de déjà-vu? La seule différence, c’est que les questions que je me pose au cours de la projection sont influencées par ma lecture préalable. Le jeu des attentes est bien différent lorsqu’on admet que les règles du jeu de l’adaptation ne sont pas celles de la « fidélité ».
Ce qu’une adaptation « doit faire »
C’est souvent d’une manière « ontologique » que les gens critiquent les adaptations. Autrement dit, au nom d’une certaine « pureté », au nom de « l’essence » de l’oeuvre originale, l’adaptation ne devrait pas exister. Mais pourquoi pas, si ça peut permettre à une autre oeuvre d’exister? (Point de vue candide, j’en conviens, j’aurais pu écrire sans crainte d’être contredit « si ça peut permettre de faire de l’argent ».) D’une manière ou d’une autre, je suis le plus souvent réticent face à tout ce qui concerne la « pureté » ou le droit à une « authenticité » envers une oeuvre d’art.
Qu’en est-il de Harry Potter and the Half-Blood Prince? Bah, le livre m’avait intéressé, et le film en déroge au point de devenir autre chose. Autre chose qui, malheureusement, comprend un mélange de scènes d’amour étranges entre ados, de « punchs » un peu manqués par manque de suspense au départ… un suspense jeunesse standard (avec son lot d’éléments de suspense artificiels, c’est-à-dire qui ne seraient pas du suspense dans la vraie vie) sans vraiment plus.
Images tirées de : http://www.unificationfrance.com/spip.php?article6258 et http://www.encyclopedie-hp.org/help-about/books/hbp/book_hbp.php.
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