Comme je suis le blogue de Renart L’éveillé, je suis tombé sur un texte qu’il a écrit en réponse à un de ses collègues du groupe Les 7 du Québec, un collectif de sept blogueurs qui parlent de politique sans ligne éditoriale. Le texte en question de Yan Barcelo tente de démontrer que l’art contemporain est un sida pour une civilisation. Pour lui, l’art contemporain est un échec radical financé par l’état: pour échouer, encore faut-il avoir un objectif commun et clair. Le texte s’étale en six parties, que je vais brièvement commenter. Mon objectif ici ne sera pas, comme Renart, de faire un plaidoyer de l’art contemporain, car je ne crois pas que ce soit faisable dans le format du blogue; je vais plutôt tenter de voir pourquoi les arguments de Barcelo ne tiennent pas la route.
La popularité, la reconnaissance de leurs contemporains et l’influence prévisible
Dans la première partie, Barcelo soutient que personne n’écoute la musique contemporaine, que personne n’apprécie, que personne ne connaît les artistes. Il anticipe le contre-argument peut convaincant du « quelqu’un les découvrira un jour », en disant que, contrairement à d’autres (Van Gogh, Schubert, Mozart…), cela fait bien longtemps qu’on aurait dû les découvrir. Pour lui, cette ignorance du grand public envers les musiciens du XXe siècle est la preuve que la musique contemporaine est un échec.
Or, là ne pouvait être moins la question. Demande-t-on au public d’expliquer le fonctionnement d’un système informatique pour juger de l’influence qu’a eu l’ordinateur sur notre vie quotidienne? Jouer avec la « matérialité » du son, comme l’on fait plusieurs « musiciens concrets », est maintenant monnaie courante dans la musique populaire, avec l’utilisation du sample. De toute manière, comment peut-on concevoir qu’à un moment x dans l’histoire, on puisse prévoir quelle sera l’influence de quelque chose? Autrement dit, quel système de financement peut-on proposer qui anticipe l’avenir?
L’argent, les règles de l’art et le sens
Petit commentaire sur l’argent: Pollock peut-il quoique ce soit au fait que son art se vende 147 millions? Là n’est, encore une fois, pas la question, puisqu’au moment du financement d’une œuvre, le montant d’une de ses ventes futures n’est pas fixé. Barcelo semble aussi connaître les règles de base de l’art, et juger que certains y dérogent beaucoup trop.
Je me rappelle le manifeste d’un certain Jean-Pierre Perreault, que certains critiques saluaient comme un génie de la danse, où celui-ci disait qu’il ne se vouait plus qu’au geste de la marionnette, au mouvement cassé, brisé, déchu. Exactement le contraire de l’impulsion la plus élémentaire de la danse, qui procède de la joie, de l’exultation, de la tentative d’exprimer l’esprit libéré de la chair (Barcelo, 28 juin 2009).
Peut-on d’avance déterminer pour toujours quelle sera « l’impulsion élémentaire de la danse »? Je me demande quelle autorité sur le monde se confère quelqu’un qui juge que tout ce qui n’entre pas dans son cadre appelé « danse » est mauvais. Barcelo juge que la littérature ne pouvait rester longtemps dans ce type de modernité, car elle est rattachée au sens, de par le fait qu’elle sollicite une langue. Sa conception du mot « sens » me semble limitée: le sens n’est-il que contenu dans le langage parlé? Ne pourrait-il pas y avoir d’autres manières de véhiculer du sens, ou de trouver du sens? Il n’y a pas que la figurativité en arts visuels et l’harmonie en musique qui ne soit sensée.
Ne pas réinventer le langage
Dans cette troisième partie, Barcelo juge qu’on peut faire de belles choses sans réinventer le langage; pour cette raison, il ne faudrait pas le réinventer. Il faudrait « au moins » utiliser le langage commun : sans davantage de raison. Là où il ne voit que « le bizarre, l’horreur et le désarroi », d’autres voient des réflexions sur la manière dont le sens est créé en art. Cette section repose davantage sur l’arbitraire et le goût personnel.
Le « nous » versus le « on »
Dans la troisième partie, Barcelo espérait que « nous » pourrions un jour apprécier certains artistes contemporains (le « nous » référant à un groupe indéfini). Dans la quatrième partie, c’est le « on » qui prime : ce groupe qui s’exalte devant tout l’art contemporain. Le quatrième texte parle de la recherche d’originalité à tout prix: peut-être Barcelo devrait-il aller voir certaines oeuvres contemporaines qui misent sur l’intertextualité : Douglas Gordon, Janet Cardiff, Cindy Sherman, …
La suprématie de la beauté en art
Encore une fois, Barcelo généralise sa propre expérience de ce qu’est l’art à celle que tout le monde devrait ressentir:
Et cette petite exclamation « c’est beau! » est à la source de toute l’expérience esthétique de l’art.
Il n’y a pas nécessairement de lien logique ou causal entre l’art contemporain et ce qu’on appelait « art » avant. Et il ne faut pas les relier pour trouver le sens ou l’objectif que chaque art se donne envers lui-même. Autrement dit, si la beauté était le critère avant (j’ai bien dit: « si », car nous pourrions en en discutant convenir que c’est bien relatif), pourquoi toujours tout relier à la question de la beauté? Tout son argument de cette cinquième partie tient à l’inspiration que lui procure certaines oeuvres d’art. Presque spirituelle est son expérience de la beauté.
Une des définitions les plus simples et les plus éloquentes de l’œuvre d’art tient au mot d’ordre que tentait d’appliquer Molière dans sa création théâtrale : plaire tout en instruisant. Il y a là beaucoup de sagesse et de vérité, je crois, et la formule vaut certainement pour les arts de la parole et de l’écriture.
Ici, Barcelo nous donne une définition de l’oeuvre d’art que nous devrions accepter. Peut-être qu’il devrait réfléchir au fait que ce n’est pas tout l’art qui fonctionne de cette manière, et ce, même si on excluait l’art depuis le début du XXe.
Et qu’en est-il de l’inspiration que l’œuvre pourrait susciter chez le spectateur? Rien.
Se base-t-il sur des sondages pour affirmer cela? Il y a un public pour l’art contemporain, et il faudrait être borné pour ne pas le reconnaître. Ce public est sans doute, du moins en partie, inspiré par les oeuvres. Il serait étrange d’en douter – du moins sans amener une argumentation un peu plus convaincante.
L’art au service de la beauté et de la vérité?
Pour le dire succinctement, l’art qui ne cherche pas la beauté et la vérité, plus encore la beauté de la vérité, n’est que simagrées, grimaces et gesticulations dérisoires.
La beauté de la vérité? Et cette vérité, comment la reconnaître? Qui distinguerait l’art « vrai » de l’art « faux »? Cette dernière partie tente de montrer que l’art contemporain a détruit notre civilisation. En se basant sur de vulgaires oppositions :
D’un côté, on trouve un art savant et sur-sophistiqué qui s’est coupé de ses sources métaphysiques de beauté et de vérité; de l’autre, un art populaire qui se complaît trop souvent dans la facilité, la sentimentalité, même la vulgarité.
Encore une fois, le monde est pris entre deux types d’art, qui n’ont aucun lien et qui luttent l’un contre l’autre. La meilleure façon de vulgariser une situation qui est beaucoup plus complexe. Sa solution? Subventionner l’art « qui pogne le plus », rien de moins. Bien sûr, plutôt que de laisser la liberté artistique aux artistes, on devrait créer une « formule » qui calculerait leur public. Ainsi, plus d’art de snob qui se sépare de son public. Plus de recherche artistique non plus, malheureusement.
Pourquoi ne pas faire la même chose en science? On pourrait payer les scientifiques en fonction du lectorat de leurs articles spécialisés. Peut-être que, comme ça, ils expliqueraient plus clairement et feraient des jokes une fois de temps en temps, dans leurs textes. Science et vie pourrait se payer tout ce qu’ils veulent, tandis que les périodiques scientifiques mourraient. Tant mieux pour eux, tant et aussi longtemps que les choses aient un public, c’est ça l’important.
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