On m’a prêté récemment L’utilitarisme du philosophe John Stuart Mill. J’aime bien la philosophie en général, mais j’ai toujours eu de la difficulté avec la branche éthique de cette discipline, sans doute parce qu’elle me semblait très prescriptive : ceci est bien, ceci est mal. J’avais d’ailleurs de la même manière des réticences semblables pour la philosophie esthétique : ceci est beau, ceci est laid. Tout comme pour l’esthétique, je suis content d’être agréablement surpris.
La pensée de Mill en deux temps
Le texte de Mill semble se faire en deux temps – qui ne sont pas chronologiques dans le livre, mais qui me semblent se diviser facilement après coup. Je résumerais le livre avec une phrase que Georges Tanesse, traducteur, utilise en notes:
Les conduites justes sont conservées naturellement par la réaction violente, le ressentiment, que nous éprouvons contre ceux qui menacent notre sécurité par leurs actes; mais nous devons aussi les sauvegarder volontairement en les maintenant au niveau où les ont élevées notre intelligence des conditions de la vie sociale et l’élargissement de notre sympathie à l’humanité tout entière. (Tanesse dans Mill 1988, p. 175)
Les deux temps de la pensée éthique de Mill peuvent donc se décrire ainsi:
- Démontrer que les principes de l’utilité préexistent à d’autres systèmes comme les croyances ou les doctrines morales; autrement dit, que dans toutes les sociétés, c’est l’utilité qui a primé comme moyen naturel de créer des normes sociales;
- Pour cette raison, il est indésirable de ne pas se fier à l’utilité pour modifier volontairement ces mêmes principes.
Ainsi, si certains lui objectent que l’utilitarisme ne peut fonctionner car on ne peut pas avoir le temps de juger les effets de nos actions, Mill répond que nous avons le temps qu’a eu l’humanité: les gens s’accordent sur ce qui est utile, et vont l’inculquer aux jeunes et le placer dans les lois, etc. Nous aurions déjà enclenchés le phénomène de l’utilitarisme; il aurait engendré l’état actuel. Intéressant, mais en même temps, ça peut le contredire, car nous n’avons pas toujours optimisé l’utilité dans les lois et les traditions.
Le rôle de la philosophie
Avant d’offrir un modèle à suivre (avec une fin précise que je ne détaillerai pas, soit celle du plus grand bonheur du plus grand nombre), Mill veut expliquer par quels principes la moralité se définissait dans une société donnée. Ce rôle qu’il se donne rejoint le principe que Wittgenstein décrit comme le rôle de la philosophie : « La philosophie ne doit en aucune manière porter atteinte à l’usage effectif du langage, elle ne peut donc, en fin de compte, que le décrire. » (2004, p. 87) J’aime cette idée, bien que je suis conscient qu’on puisse y voir une contradiction : son travail philosophique porte atteinte au langage en donnant une définition fixe à la philosophie… mais il peut jusqu’à un certain point le faire, tout en admettant que la philosophie peut avoir historiquement fait autre chose.
Les concepts de « motif » et « intention »
Ma lecture m’a toutefois laissé un peu confus par rapport à la distinction que Mill fait entre « motif » et « intention » (note a, p. 69) pour juger d’un cas précis: pour lui, le motif est le « sentiment qui pousse [un individu] à vouloir agir ainsi, qui ne change rien à l’acte », alors que l’intention est « ce que veut faire l’agent » [celui de qui on juge le cas]. Cette définition est quand même assez claire: le motif est un sentiment, alors que l’intention est ce qui fait partie du « monde possible » que peut se construire un individu par rapport à ce qu’il veut faire; ce serait son « plan ».
Mais, pour lui, le motif n’est pas important – ce avec quoi je suis d’accord – alors que l’intention, elle, est – de toute évidence! – plus qu’importante. Je constate la différence entre les deux définitions (bien qu’il n’y ait pas vraiment de manière d’avoir accès à aucun des deux), mais je ne vois pas en quoi l’un est si important par rapport à la moralité d’un acte et l’autre pas du tout. Il semble que Bentham ait été l’utilitariste qui ait le plus travailler sur ces deux concepts… mais si vous avez des éclaircissements concernant cette distinction, vous êtes les bienvenus à l’exprimer.
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