Ce texte révélera vraisemblablement des moments clefs de l’intrigue du film dont il est question.
J’étais très enthousiaste à ma sortie du film Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, sentiment partagé par les cinéphiles avec qui j’étais réuni. Je ne m’attendais cependant pas à voir autant de réticence de toute part, allant du mépris d’un cinéaste qui nous prendrait pour un imbécile à celui de la condamnation d’antisémitisme.
J’écrirai donc quelques mots pour défendre la pertinence de ce film, pour deux raisons principales : le rôle d’un cinéaste face à l’histoire, d’une part, et d’autre part, le suspense lié à l’uchronie.
Le rôle d’un cinéaste face à l’histoire, et face à ses images
Dans un article de Stéphane Baillargeon paru dans Le Devoir la fin de semaine du 31 janvier dernier, André Habib fait référence à un article du cinéaste et critique Jacques Rivette, en expliquant que, pour Rivette, « le cinéaste capable de commettre un plan esthétisant l’horreur mérite le plus haut mépris. Pourquoi? Parce que le beau plan rend le tragique sinon acceptable du moins tolérable ». Ce que Rivette reproche aux cinéastes qui esthétisent la mort, par exemple, c’est qu’ils ne se posent pas les questions qui s’imposent à propos de la représentation de ces thèmes.
Le problème est que cette perspective oublie une chose : si le cinéaste a le devoir de filmer de sorte de réfléchir, ne peut-on pas incomber cette même responsabilité au spectateur? Autrement dit, ne peut-on pas supposer que, pour qu’une image soit complète, elle s’accomplisse à travers une réflexion éventuelle du spectateur, et que, en ce sens, le réalisateur peut avoir le bénéfice du doute quant aux propos qu’on place dans ses images? Ce serait associer à l’auteur les propos du méga-narrateur filmique, cette instance qu’André Gaudreault identifie comme ce qui serait le « narrateur premier », celui qui « parle » cinéma, dans une approche narratologique qui se distancie de l’auteur.
Il me semble par ailleurs que la violence n’est pas si glorifiée. C’est bien davantage la connaissance préalable qu’on peut avoir à propos de la Seconde Guerre mondiale qui fait que l’image devient horrifiante : sinon, aucune image n’est pire que ce qu’on a pu voir dans d’autres fictions. Je trouve en ce sens que le film prend davantage position en riant noir de cette guerre : ce n’est pas parce que ce film propose un décor historique à des images violentes qu’un film qui ne serait pas campé dans l’histoire ne mériterait pas autant de mépris. Autrement dit, il me semble que ce film nous permet de nous questionner sur la violence de manière plus générale : pourquoi regarder ce type d’images serait-il plus acceptable quand le cadre est fictionnel, alors que les horreurs des nazis ont quand même existé dans le monde réel? Pourquoi voir des morts dans un univers qui ne ressemble pas au nôtre serait-il plus respectueux envers l’histoire que de voir des morts dans un cadre réaliste?
Le suspense lié à l’uchronie
Par ailleurs, cette connaissance préalable permet de faire fonctionner le suspense malgré le décor uchronique. Nous sommes dans un monde semblable en à peu près tout points à l’histoire réelle; ainsi, nous sommes en mesure de créer des attentes en fonction d’un univers diégétique qui est semblable à notre monde réel. Tout au long de l’histoire, deux groupes sont mis en parallèle et ont chacun un plan pour tuer les nazis rassemblés dans le cinéma. L’un des deux plans est très foireux – une femme qui laisse très malhabilement sa chaussure et un autographe qu’elle a signé sur les lieux d’un crime, un groupe d’Américains qui tentent vainement d’imiter des Italiens – et mène vraisemblablement vers l’échec de l’attentat contre Hitler et les autres dirigeants nazis – d’autant plus que ceux-ci ne sont pas morts ainsi dans la vraie vie. Or, on apprend que le film est une uchronie en même temps qu’on voit le punch : nos repères historiques sont brisés. On se joue de nous sur le fait qu’on ait anticipé certains événements selon nos connaissances historiques. N’est-ce pas là la meilleure manière de se distancier de l’histoire, de nous porter à réfléchir sur la représentation d’images horrifiantes, que ce soit dans l’histoire ou hors de celle-ci?
Pistes additionnelles non explorées
Je pensais intégrer ça, mais j’ai décidé de ne pas le faire par manque de temps. N’hésitez pas à le considérer dans vos commentaires.
» ‘Corps sans nom’ sur Préfère l’impair : Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé«
Références
Rivette, Jacques. 2001 [1961]. « De l’abjection ». Dans Théories du cinéma, p. 37-40. Paris : Cahiers du cinéma (publié à l’origine dans Cahiers du cinéma, no 120).
Pour consulter l’image dans son contexte original : http://www.zoom-cinema.fr/news/2009/4/7/inglorious-basterds-plus-glamour-tu-meurs/1260/
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