Le paradoxe de la démocratie

Sur son blogue, Normand Baillargeon relate quelques problèmes philosophiques irrésolus dont celui du paradoxe de la démocratie, qui m’a particulièrement interpelé et qui me semble une des raisons qui fait que je ne suis pas philosophe et ne veut pas particulièrement l’être.

Imaginons une irréprochable machine qui comptabilise les votes des citoyens d’une société démocratique devant choisir entre diverses options.
L’un de ces citoyens, un démocrate convaincu et consciencieux, pense, après mûr examen, que c’est l’option A qui est préférable : il entre donc ce choix dans la machine. Mais d’autres préfèrent B, ce qui est bien entendu inévitable en démocratie.
La machine comptabilise tous les votes et c’est finalement l’option B a été choisie.
Notre démocrate convaincu semble en ce cas se trouver devant un paradoxe. Il lui faut en effet penser simultanément d’une part que A est l’option à suivre, puisque telle est la conclusion à laquelle il est parvenu après réflexion, d’autre part que B est l’option à suivre, puisque tel est le choix de la majorité et qu’il est un démocrate.
Cette conclusion se généralise bien entendu et la démocratie semble bien pouvoir conduire, au moins dans certains cas, tous les partisans d’une position minoritaire à avoir deux conceptions opposées de ce qu’il conviendrait de faire.
Cette analyse a été présentée en 1962 par Richard Wollheim (1923-2003), qui y voit un paradoxe au cœur de la démocratie. Est-ce le cas? Est-il important? Et si la réponse à ces deux questions est oui, est-il possible de résoudre ce paradoxe?
On en débat toujours…

Ailleurs sur le même blogue, j’étais tombé sur un test qui permettait d’évaluer notre « santé philosophique », c’est-à-dire grosso modo voir s’il y a des contradictions flagrantes dans notre pensée. En 30 questions toutes simples, quelques reproches sur notre pensée nous sont livrés. Le genre de quiz où répondre « vrai » à une phrase comme la suivante nous empêche de répondre à quoique ce soit d’autre:

17. There are no objective truths about matters of fact; « truth » is always relative to particular cultures and individuals

(Je précise que je n’ai pas refait le test pour voir ce que ça donnait de répondre « vrai » à cette question et que je ne me souviens pas ce que j’avais répondu la première fois. Mais le paragraphe suivant ne parle pas spécifiquement de ce test.)

Je trouve étonnant comment, pour plusieurs, il faudrait que chaque fois qu’on énonce une phrase qui nous apparaît vraie, on doive considérer qu’elle soit aussi vraie pour tous et pour toujours. Si le concept de vérité est relatif à chacun, je peux quand même continuer à croire qu’il existe des choses qui soient vraies pour moi, sans prétendre qu’elles soient vraies pour tout le monde. Le problème me semble le même dans les deux circonstances: doit-on être toujours cohérent envers soi-même? Dans une démocratie, ne peut-on admettre de concessions sur ce qu’on croit vrai?

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Commentaires

11 réponses à “Le paradoxe de la démocratie”

  1. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    J’ai l’impression que, en général, quand les gens disent « Ce qui est vrai pour moi n’est pas forcément vrai pour les autres », ils veulent dire « Chacun de nous a une vision partiellement juste et partiellement erronée de la vérité : une vision n’est donc pas meilleure qu’une autre ». Je suis d’accord avec ce principe; trop souvent au cours de l’histoire, des gens trop certains de détenir la vérité absolue ont imposé leurs croyances aux autres de façon injustifiée.

    Cependant, il faut faire attention quand on aborde ce sujet. En disant qu’aucune croyance n’est meilleure que les autres, on peut sombrer dans un relativisme où toutes les croyances se valent : un nazi ne serait pas pire qu’un humaniste; un monstre ne serait pas pire qu’un saint. Pour éviter le relativisme, on peut admettre que notre rapport à la vérité est relatif tout en soutenant que la vérité elle-même est absolue. Ainsi, personne ne détient la vérité mais certaines croyances en sont plus près que d’autres. Sans une telle logique, il faudrait dire au meurtrier en série qu’on ne le punit pas parce que ce qu’il fait est immoral mais seulement parce que ça déplaît à notre sentiment culturel, ce qui serait injuste en soi. On doit reconnaître que nous ne détenons pas la vérité absolue mais, pour défendre un minimum de moralité, il faut présumer que nous en détenons une partie. On peut être humble dans notre rapport à la vérité sans être relativiste… C’est ma réponse à ta question par rapport aux concessions que l’on peut faire sur ce qu’on croit vrai.

    Pour ce qui est de la cohérence, je dirais qu’il est possible d’avoir certaines croyances vraies qui semblent incohérentes car elles ne sont mal formulées, mais je crois qu’on doit toujours aspirer à la cohérence intellectuelle. L’incohérence, lorsqu’elle n’est pas seulement apparente mais véritable, signifie une volonté contraire à elle-même : on est avares en voulant être généreux, on est lâches en voulant être courageux, on est méchants en voulant être bons… Ainsi, si notre croyance est véritablement incohérente, elle s’annule elle-même. Il ne faut pas abandonner une croyance dès qu’une incohérence apparente se présente mais il faut l’approfondir intellectuellement et être prêt à l’abandonner si elle ne se résout pas.

  2. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    Si la terminologie philosophique te plaît un peu :

    Le problème que tu poses est l’opposition traditionnelle entre l’ontologie et l’épistémologie. L’ontologie est l’étude de ce qui existe, l’épistémologie est l’étude de ce qu’on peut connaître. D’un point de vue ontologique, la vérité est absolue car nous vivons tous dans le même univers. D’un point de vue épistémologique, la vérité est relative car l’esprit humain est trop limité pour connaître parfaitement la vérité universelle.

    Les fanatiques font une erreur épistémologique en croyant détenir la vérité absolue, les relativistes font une erreur ontologique en croyant que la vérité absolue n’existe pas.

  3. Avatar de Simon Dor

    Merci Sylvain pour ton commentaire. Merci pour la précision des termes, je ne voyais pas en quoi l’idée d’épistémologie (qui est employé dans notre discipline pour tout ce qui, justement, concerne les réflexions sur le type de connaissance qui peut émerger de notre travail) était liée à celle d’ontologie (que je voyais plus en opposition avec quelque chose comme l’empirisme ou le pragmatisme).

    Il y a peut-être des vérités absolues, mais: comment savoir? (J’adore cette question en deux mots simples et qui a deux niveaux de sens particulièrement riches.) Le problème est que quelqu’un doit se poser en juge pour prendre une décision à ce propos.

    Je ne crois pas nécessairement que tuer soit un mal en soi (réflexion qui peut être expliquée dans l’exemple #8 de l’article de N. Baillargeon et que j’avais déjà lu chez Feel O’Zof). Il faut empêcher les gens de tuer parce qu’on a jugé en tant que société ne pas avoir l’autorité de tuer des gens. Par contre, et c’est grosso modo là où je veux parler « d’incohérence », c’est que je sais pertinemment que je ne pourrais pas tuer. Il n’y a pas que la raison comme variable en jeu: autrement dit, je sais intuitivement que je ne dois pas tuer, comme je sais intuitivement que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement possible (même si on pourrait avoir des arguments rationnels qui en viendraient à une forme meilleure, que je pourrais reconnaître comme valables mais que je ne soutiendrai probablement jamais dans la vraie vie car mon intuition que détruire le système actuel ouvrirait une boîte de Pandore est très forte).

    Disons, peut-être pour faire plus simple, que quelqu’un qui croit que la vérité absolue n’existe pas n’a pas à cesser de réfléchir et à cesser de porter des jugements moraux sur les situations. Je peux dire que c’est mal de tuer, que c’est souhaitable d’empêcher les gens de tuer et de les punir le cas échéant, en étant relativiste. Quand je dis que je suis relativiste (je ne le dis pas souvent, parce que je ne sais pas si sûr que je le suis tout à fait, et que de toute façon c’est souvent mal interprété), je veux dire par là que je crois que la conception de la justice ou de la moralité se fait à travers la pensée et la rationalité humaine, lesquels ne sont il me semble pas préexistants à l’humanité elle-même.

  4. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    Est-ce qu’il y a des vérités absolues? Il y en a au moins certaines; je crois que la question est plutôt de savoir ce qu’elles englobent. Par exemple, 2+2=4 est un fait objectif : les mathématiques sont le meilleur exemple de vérité absolue. À l’autre extrême, je crois que l’esthétique est le meilleur exemple du subjectif : il n’y a fort probablement pas de vérité absolue en art. Entre ces deux exemples clairs, il y a la moralité (à laquelle se réfèrent spontanément les exemples dans le cadre de débats entre l’absolutisme et le relativisme). Même si la moralité n’est pas clairement absolue ou relative, je crois que certaines réalités – au moins les mathématiques –sont clairement absolues. Il reste donc à débattre de la place de la moralité.

    Tu fais bien de ne pas te dire relativiste trop souvent car on déduit spontanément que tu n’as pas de valeurs morales. Je sais que ce n’est pas le cas : ce sont les nihilistes qui n’ont pas de valeurs; les relativistes ont des valeurs… relatives! Ma critique du relativisme est à deux autres égards. Premièrement, le moins bon argument : j’ai l’impression que ça rend moins courageux. Si tu es opposé au viol seulement à cause d’une intuition découlant de ton évolution personnelle, tu seras nettement moins fort dans ta lutte contre le viol que si tu crois que le viol est objectivement mauvais. Pousser cet argument à l’extrême mène au fanatisme, mais ne pas le reconnaître affaiblit la justice. Deuxièmement, le relativisme, lorsqu’il se veut moral, devient automatiquement immoral dans son exécution. Je veux dire que, si ton intuition te dit qu’un mari qui prend sa femme contre sa volonté commet un viol alors que le mari en question est un musulman qui n’a pas cette intuition (et la femme non plus, peut-être!), tu en arrives au point où tu emprisonnes un homme pour aucune autre raison qu’une opposition d’intuitions. Est-ce que ton intuition te dit qu’il est juste de punir par intuition? Même si la conjecture contemporaine ne présage pas de tels dangers, il faut se rappeler qu’une telle logique était le fondement de la moralité barbare…

    Notre raison est finie, mais elle se rapporte à un objet infini : la raison universelle. Je veux dire que, longtemps avant que l’humanité n’apparaisse, la matière de l’univers entier était organisée de façon à façonner des créatures morales qui prendraient conscience de la valeur éthique de leurs actes. Ainsi, aussi imparfaite que soit notre raison, elle est fondée sur et elle aspire à une vérité qui ne lui est pas totalement inaccessible car elle est imbriquée dans la nature qui l’a créée. Les débats absolutisme-relativisme finissent forcément par être existentiels car c’est ultimement l’objet du débat. À mes yeux, c’est l’évidence même que l’humanité est intégrée à l’univers de la même façon que notre code génétique est intégré à notre corps, et donc que le relativisme est l’effet d’une surévaluation de l’autonomie apparente de la pensée humaine.

  5. Avatar de Simon Dor

    J’ai lu très récemment 1984, donc, la question sur la vérité du 2+2=4 est pour moi d’actualité. Je ne dis pas qu’il n’existe pas une vérité sur laquelle on finira par s’entendre si on parle tous le même langage. Mais on doit passer par le langage, qui finit par brouiller les cartes et admettre que la vérité sur laquelle on s’entend est bien relative, parce que, par exemple, l’emploi de sophismes est parfois très étonnant chez des gens pour qui la raison est extrêmement importante. Peut-être est-ce une question de termes : pour moi, la raison s’apprend et se construit, et d’elle découlent des faits; ni la raison ni les faits ne se « découvrent », et c’est pour cette raison que je n’y vois pas d’absolus. La logique elle-même est une construction, car elle est édifiée sur des faits qui ne peuvent théoriquement pas prouvés autrement que par la logique même. Pour moi, quand je dis qu’il n’y a pas d’absolus, c’est que je crois que les postulats sur lesquels les gens se basent sont souvent bien différents.

    En effet, ça rend moins courageux, je l’admets. Mais à mon sens la justice n’a pas à être forte pour être valable. Je ne pense pas que tu emprisonnes un homme pour une raison d’oppositions d’intuitions. Tu l’emprisonnes parce qu’une majorité de gens ont une intuition qui s’oppose à celle d’une minorité de gens. Mais sinon, comment connaître ces absolus?

    Je ne vois pas nécessairement non plus comment le fait que l’on soit intégré à l’ensemble de l’univers ait une différence avec la conception absolutiste/relativiste du monde. On peut être pleinement intégrés dans un univers avec ou sans raison universelle.

  6. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    Hehe, c’est en effet une bonne image que d’avoir lu 1984 juste avant cet argument. De mon côté, je l’ai lu il y a environ quatre ans… Je suis d’accord avec ta conception de l’importance du langage dans la logique. C’est l’essence du débat épistémologique : il est certain que le langage et les sophismes posent en obstacles à notre connaissance de la vérité mais je vois un pessimisme intellectuel très lourd dans l’idée que celle-ci soit impossible pour autant. Peut-être que la conclusion à cet égard ressemble à celle de notre débat sur l’aide sociale : nous sommes d’accord sur les faits, mais tu es plus « prudent » que moi dans ta façon de les appréhender…

    On n’emprisonne pas pour une raison d’opposition d’intuitions, mais parce que la majorité a une intuition qui s’oppose à celle d’une minorité? Je dois dire que je ne te suis pas. J’ai l’impression que tu me dis « ce n’est pas grand, c’est l’inverse de petit ». J’admets que l’intuition de la majorité est souvent le facteur déterminant à savoir ce qui est légalement punissable ou non, mais je vois un problème dans cette réalité. Si c’est l’intuition de la majorité qui dicte la justice, quel argument aurais-tu pu faire si tu étais un Allemand humaniste durant le régime nazi? Si nous voulons définir une justice qui dépasse les intuitions morales d’une région et d’une époque, il faut être capable d’invoquer des principes universels et intemporels.

    Le fait que l’on soit intégrés à l’ensemble de l’univers implique simplement que, malgré nos différences de perspective, il existe une vérité absolue, et donc que certains perspectives sont plus près de la réalité véritable que d’autres : certaines perspectives sont plus vraies que d’autres. Celui qui dit 2+2=4 est plus près de la vérité que celui qui dit 2+2=5.

  7. Avatar de Simon Dor

    On pourrait peut-être ramener ça à certains concepts de base. Pour toi, existe-t-il un certaine « idée du Bien » qui existe indépendamment de notre considération à l’appréhender?

    Certains philosophes (James si je ne m’abuse, je pourrai retourner creuser éventuellement) voient que l’expérience est quelque chose d’objectif, mais non pas parce que tous auraient la même expérience d’une chose, plutôt parce que l’expérience préexiste à notre conception de la subjectivité. Autrement dit, avoir une expérience est quelque chose qui préexiste notre conception de nous-mêmes en tant que sujet, puisqu’on se définit comme le sujet d’une expérience. On ne se définit pas comme sujet avant d’avoir expérimenter des choses.

    Je ne suis pas d’accord avec l’argument face au nazisme parce que les Nazis invoquaient aussi des principes universels et intemporels. Le problème : les deux divergent. Qui a raison universellement? Encore une fois, il s’agit de la question: « Comment savoir? ». Quelle est la différence entre invoquer des principes universels et connaître ces mêmes principes universels? Si Dieu existe, comment pourrais-je savoir que ce qu’il attend de moi est circonscrit dans ce livre nommé Bible? Je pense que là est le problème principal à poser l’existence de principes universels: on a pas de preuve qu’ils existent.

    Pour moi, évoquer des principes universels ou non n’est pas important parce qu’il n’y a, pour moi, pas de vérité et morale universelle. Je juge que les Nazis sont méchants et je ne veux pas d’un système nazi, parce que, pour moi, c’est mal et on est une bonne gang à penser comme ça. Même si on peut justifier logiquement que le nazisme est mal (ou, pour enlever des termes qui font référence à l’universel, indésirable), je sais intuitivement que je ne veux pas que ça existe.

    Prenons le cas de La République de Platon. Évidemment, on en arrive à la conclusion que les philosophes doivent gouverner la Cité, parce qu’ils ont la raison, et comme, selon eux, c’est la raison qui détermine qui doit gouverner, c’est un cercle fermé tout autant. Je n’ai pas d’argument pour dire que la démocratie est meilleure que le système proposé par Platon, mais je crois au système démocratique et je ne veux pas autre chose.

    Mais, en effet, j’accorde une place particulièrement importante au langage et au discours en général dans ce genre de discussions. Peut-être que si on était des Protoss et qu’on communiquait par télépathie, ce serait plus simple. Voilà, une autre manière de démontrer que Protoss > Terrans. [Vous pouvez sauter les deux dernières phrases pour ceux qui ne connaissent pas StarCraft.]

  8. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    Oui, je crois qu’une idée du Bien existe de façon indépendante. À toutes fins pratiques, le Bien est ce qui concorde avec notre nature alors que le Mal est ce qui s’y oppose. Les animaux ne peuvent pas agir de façon discordante avec leur nature, c’est pourquoi ils ne sont pas des êtres moraux. En d’autres mots, se rebeller contre notre condition existentielle est mauvais, s’y conformer est bon : c’est pourquoi l’essence des débats éthiques est de déterminer quelle est notre condition existentielle. Le fait qu’il n’y ait pas d’unanimité ni de preuve absolue ne signifie pas que l’absolu soit complètement inaccessible, surtout lorsqu’on constate que toutes les grandes philosophies morales de l’humanité s’accordent sur une grande proportion des questions éthiques.

    Tout d’abord, les principes des Nazis n’étaient pas universels et intemporels : ils centraient leurs valeurs sur les Aryens et sur le Reich qui allait durer 1000 ans (selon l’expression hitlérienne). Ils étaient très conscients que leurs aspirations étaient limitées à leur race et à leur époque; leurs principes n’étaient donc ni universels ni intemporels mais intuitifs et instinctifs, ce fut leur faute.

    Ensuite, je ne dis pas que l’invocation de principes universels garantit la justice, je dis que ne pas invoquer de principes universels garantit que nous n’atteindrons pas la justice. Si nous nous fions exclusivement à l’intuition morale pour garantir un futur meilleur, nous sabotons le progrès car nous n’avons aucune emprise sur les sentiments : nous en avons seulement sur les réflexions. Les sentiments guident et suivent les réflexions mais, si celles-ci ne font pas office de pivot, les sentiments flottent aléatoirement et sont aussi probables d’être évolutifs que d’être ataviques. Et si nos principes ne sont pas universels, nos réflexions éthiques sont immorales car elles présument que notre intuition est digne de s’imposer à autrui (autrement, nous n’aurions pas la légitimité pour punir les crimes).

    Platon a écrit La République, et Aristote lui a fait une réplique en bonne et due forme expliquant pourquoi la démocratie est un meilleur système qu’une dictature éclairée. Platon est plus inspirant, mais Aristote est plus persuasif. La démarche intellectuelle qui s’impose alors est de prioriser la persuasion sur l’inspiration, puisque la gouvernance n’est pas une œuvre d’art mais une responsabilité sociale. Encore une fois, une difficulté intellectuelle n’équivaut pas à une impossibilité intellectuelle : à bas le pessimisme!

    Quand tu écris « Je n’ai pas d’argument pour dire que la démocratie est meilleure que le système proposé par Platon, mais je crois au système démocratique et je ne veux pas autre chose », tu suis exactement la même logique que les monarchistes médiévaux par rapport à leur propre système ; logique qui fit en sorte que la démocratie a tant tardé! Ici encore, l’intuition est un outil nettement plus imparfait que la rationalité universaliste car la raison se communique alors que l’intuition est sourde.

    Les Protoss se perdent dans leurs guerres civiles autant que les Terrans (c’est à cause du conflit entre Templars et Judicators qu’Aiur est tombée!) : s’il ne faut pas négliger l’importance du langage, il ne faut pas l’exagérer non plus! : P

  9. Avatar de Feel O'Zof

    Par rapport à ce paradoxe de la démocratie à propos du fait que «Il lui faut en effet penser simultanément d’une part que A est l’option à suivre, puisque telle est la conclusion à laquelle il est parvenu après réflexion, d’autre part que B est l’option à suivre, puisque tel est le choix de la majorité et qu’il est un démocrate.»

    Je n’y vois personnellement aucun paradoxe. L’individu pourrait se dire «mon jugement personnel m’avait amené à conclure que A mais le jugement de la majorité arrive à B, donc j’étais dans l’erreur» ou encore «A serait la bonne conclusion seulement si les gens seraient prêts à vivre avec ses implications, or le résultat du vote montre que non, ainsi B est préférable pour l’instant»

    Le vrai paradoxe de la démocratie selon moi, c’est qu’étant donné que, pour tous les sujets et toutes les disciplines du monde, il existe moins de spécialistes que de profanes, l’opinion de la majorité contiendra nécessairement plus de votes de gens qui n’y connaissent rien que de gens qui savent de quoi ils parlent. Ainsi, que ce soit pour choisir un député ou pour se prononcer sur un débat de société, la démocratie donnera plus de voix à l’ignorance qu’à la connaissance.

  10. Avatar de Simon Dor

    @ Sylvain

    « Le fait qu’il n’y ait pas d’unanimité ni de preuve absolue ne signifie pas que l’absolu soit complètement inaccessible, surtout lorsqu’on constate que toutes les grandes philosophies morales de l’humanité s’accordent sur une grande proportion des questions éthiques » => Avec cet argument, il me semble que tu rejoins beaucoup Hume (qui étrangement ne me semble pas concorder avec l’idée qu’il y ait une certaine idée du Bien indépendamment du consensus qu’on s’en fait).

    « Encore une fois, une difficulté intellectuelle n’équivaut pas à une impossibilité intellectuelle : à bas le pessimisme! »

    Oui, en effet, mais à cela j’ajoute quelques petits éléments : ce n’est pas tant parce que je ne me base pas sur la logique pour démontrer le sentiment que j’ai pas rapport à quelque chose (un système idéal, p.ex.) que cette chose n’est pas la meilleure chose possible pour moi quand même (autrement dit, il ne faut pas attendre de démontrer les choses avant de les faire), ce qui explique pourquoi il existe une formation philosophique qui rend l’argumentation plus facile mais pas nécessairement la proximité à une certaine vérité (qui, pour moi, est impossible à atteindre, mais c’est encore une fois un « pour moi »); ainsi, oui, je vise à atteindre la raison et je crois que celle-ci est un meilleur moyen pour qu’ultimement tout le monde soit plus heureux (une fin qui est, intuitivement pour moi, la mesure de ce qui est moral ou immoral), mais je sais qu’il faut passer par un moyen dogmatique pour imposer la raison comme la mesure de toute chose. Et ça transparaît aussi dans ta réponse : tu dis que je « suis exactement la même logique que les monarchistes médiévaux par rapport à leur propre système », mais tu fais la même chose en disant que « le Bien est ce qui concorde avec notre nature alors que le Mal est ce qui s’y oppose ». Évidemment, tu as peut-être un raisonnement que tu n’as pas exposé ici, mais je ne vois pas comment on peut en arriver à cette conclusion en passant strictement par la raison.

    @ Feel O’Zof

    Ce que tu pointes ne me semble pas non plus un paradoxe, parce que ça peut très bien être assumé comme position (et ça l’est habituellement). Le problème est de définir « spécialiste » et « profane ». Par exemple, Twitter regorge de « spécialistes web » auto-proclamés, mais…

  11. […] Il a fait émergé quelques questionnements en moi. D’abord, la nature quelque part contradictoire de ce type de pensée à laquelle pourtant j’ai fortement l’impression d’adhérer. Le film présentait Martin comme un penseur émergent d’un département de sociologie « de gauche », particulièrement intéressé par la politique, et pourtant, étant capable de questionner et de s’engager dans une pensée qui n’était ni fédéraliste, ni séparatiste, position qu’il qualifiait « d’extrême-centre ». Cette pensée m’apparaît dans la même veine que le paradoxe de la démocratie. […]

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