Je n’ai fait celle-ci plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte (Blaise Pascal, Seizième provinciale [cf. Wikiquote]).
Suite à ma courte réflexion sur la chronique de Patrick Lagacé, ce dernier m’a cité sur son blogue pour ajouter à la discussion. Comme je me réjouissais au départ d’écrire court et de ne pas développer, mais que je ne m’attendais pas à ce que mon texte ait autant de visibilité (et de réponse dans les commentaires de son billet de blogue), je me permets d’ajouter quelques remarques.
Mon exemple de StarCraft était strictement lié à mon mémoire de maîtrise et aux communications que j’ai fait dans des colloques. Je mentionnais que, comme les gens ne connaissaient pas les principes de base de StarCraft (et je parle ici de plusieurs personnes dont les intérêts académiques sont les jeux vidéo!), j’y voyais une mise en évidence de la différence de cultures qu’il y a chez les différents individus. On note que, dans cet exemple, la polysémie du terme « culture » fait que le terme fonctionne dans deux définitions: 1) comme le bagage personnel de connaissances spécifiques ou générales d’un individu et 2) comme un courant ou mouvement qui influence un groupe d’individus (la culture « geek », « hip-hop », etc.). Pour les deux définitions, jamais je n’aurais dit qu’il est nécessaire que quelqu’un de cultivé connaisse StarCraft (pourquoi j’affirmerais une telle chose?) ni que les jeunes devraient se contenter de leur culture « numérique » parce que toutes les cultures se valent. Je ne valorise pas le cloîsonnement ni l’absence de curiosité.
Un « relativisme » culturel?
Je posais aussi la question « Une culture est-elle « meilleure » qu’une autre? ». Je plaçais « meilleure » entre guillemets car je ne voulais pas entrer dans la question du relativisme, mais je vois que cette question en a travaillé quelques-uns. Contrairement à ce qui a été insinué dans les commentaires, je ne dis pas que Pac-man a été aussi important que l’oeuvre de Platon. Je dis plutôt que ce sont les humains eux-mêmes qui jugent, collectivement, de ce qui devient important pour eux. Alors, Pac-man n’est pas non plus d’emblée moins important que Platon, il le devient parce que, nécessairement, on reconnaît que Platon a eu une influence considérable sur la culture et on souhaite, en tant que société, s’inspirer d’auteurs dits « illustres ». Ils ont pris le statut d’illustres non pas parce qu’ils sont illustres en soi, mais parce qu’on juge leurs réflexions et leurs travaux importants et plus près de l’idéal de société qu’on souhaite. L’importance de la culture est pour moi immanente: elle part avant tout des individus et des sociétés. Ce n’est pas du relativisme. Mais ce n’est en effet pas platonicien!
Refuser la culture des générations précédentes?
Certains ont aussi fait allusion à l’idée que les jeunes refusaient la culture des générations précédentes. Je crois que ce n’est pas aussi tranché. La Révolution tranquille a probablement balayé la culture de ses aïeux bien plus qu’on ne le fait aujourd’hui, si on admet que la culture catholique s’est perdue. Par contre, il y a sans doute un manque de transmission entre les deux générations, mais j’avais en tête des cas particuliers qu’il me semble pertinent de mentionner ici. Je ne dis pas que les jeunes ne doivent pas apprendre de ceux qui les précèdent, je dis que les jeunes ont une culture à eux (parce qu’ils baignent néanmoins dans des objets culturels – TV, jeux vidéo, cinéma, etc. – que cette culture soit acceptable aux yeux de la génération précédente ou non) et que, si on ne tente pas de comprendre ce qu’ils trouvent intéressants dans leur culture, ils ne s’intéresseront pas à leurs aînés.
Disons qu’un professeur veut introduire un grand auteur aux jeunes. Il parle d’Hugo, de Flaubert, de Bradbury ou d’Asimov. En vantant les mérites de chacun de ces auteurs, voire même les mérites de la lecture et de la littérature de manière plus générale, il se peut (et il est probable) que les jeunes soient en mesure de faire des liens avec ce qui les intéresse. Et ce qui les intéresse est parfois de la culture populaire: Harry Potter, Twilight, etc. Autrement dit, si un professeur parle de l’intérêt qu’il a de passer une soirée à lire et à se sentir près de ses personnages, de vivre des émotions en suivant le fil de sa lecture, le jeune a peut-être déjà vécu une expérience aussi riche devant un jeu vidéo ou une série télé. Ce sont souvent ses repères culturels.
Peut-être que le prof ne connaît pas ce type d’expérience et n’a pas non plus à confirmer que la relation qu’on a avec un livre a des points communs avec celle qu’on peut avoir avec un film ou un jeu. Mais s’il rejette l’idée que cette expérience puisse être aussi signifiante, il ne donnera pas le goût au jeune d’être curieux et d’expérimenter une autre forme d’art. Et, croyez-moi, il en existe des gens des générations précédentes pour nous rappeler que leur rapport au livre est beaucoup plus noble que notre rapport au jeu. Tout ceci me rappelle la réflexion que Roger Odin portait sur le rôle de l’université dans le rapport au goût. Je crois que si on dit aux jeunes qu’ils ne peuvent pas se fier à leur propre jugement pour explorer de nouveaux horizons culturels et pour juger de ce qui est intéressant, ceux-ci ne vont que se refermer plutôt que s’ouvrir.
L’intertextualité
L’idée d’intertextualité me semble importante aussi dans ce dialogue. Quelques-uns ont mentionné que leur culture générale faisait qu’ils avaient une expérience — par exemple, de StarCraft — plus riche. Évidemment, plusieurs œuvres actuelles — dont les jeux vidéo — font explicitement référence à des œuvres du passé et avoir cette culture permet de comprendre différemment les plus récentes. Je crois que c’est une richesse qu’il y ait cette intertextualité et il me semble que ce lien entre deux oeuvres ne peut qu’être positif même pour l’individu qui ne connaît que la plus récente. Avec les outils actuels, notamment les connexions qui existent entre les oeuvres sur IMDB, on peut plus rapidement en apprendre sur les liens culturels qui émanent implicitement ou explicitement de certaines oeuvres.
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