Le plaisir comme barème du jugement d’une œuvre et le défi de la critique

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En lisant le blogue de Paule Mackrous, je suis tombé sur la chronique « À quoi je sers? » de Jean Barbe sur Canoë. Barbe y explique comment il voit son rôle de critique, à une époque qui, pour lui, veut éviter les jugements de valeur. Ce avec quoi je suis en désaccord.

Si je me pose la question, c’est que nous sommes à une époque où tout se vaut. Chacun son truc, et les goûts de chacun sont devenus des gages de qualité, parce que le plaisir est le seul but et la seule vérité, et ce qui fait me fait plaisir est par définition quelque chose de bien.

En disant que « toutes les œuvres se valent », rares sont les gens qui veulent dire par là qu’ils ne porteront pas de jugement sur une œuvre, qu’ils prendront un livre ou un film au hasard et en diront toujours du bien. Ce qu’ils disent, c’est que selon ce que vous utilisez comme critère pour juger d’une chose, une œuvre va vous paraître bonne ou mauvaise.

Barbe, dans son commentaire, ne me semble pas affirmer tant que tout se vaut, mais plutôt que c’est le plaisir et uniquement le plaisir qui sert de critère de jugement pour la plupart des lecteurs. Son objectif serait de « classer les œuvres selon leur valeur » parce qu’il ose le faire.

Mais, personnellement, la difficulté que j’ai avec l’idée du plaisir comme barème du jugement envers une oeuvre d’art, c’est que c’est réducteur. C’est que je vois d’autres choses que le plaisir lorsque je lis un livre, que j’écoute une chanson, que je regarde un film ou que je joue à un jeu vidéo. Et le problème, c’est que leur jugement exclusivement centré sur le plaisir me force à expliquer quelles sont ces autres choses qui me font porter un jugement de valeur sur une œuvre.

Les jugements de valeur existent, le plaisir en est le plus souvent le barème. Mais un jugement plus complexe est peut-être en voie de disparition. C’est pourtant ce qui me semble le défi de la critique.


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2 réponses à “Le plaisir comme barème du jugement d’une œuvre et le défi de la critique”

  1. Avatar de Paule

    C’est que le plaisir se décline à son tour de différentes manières. Le plaisir, pour moi, c’est l’attrait qui nous lie à des oeuvres, des expériences, des phénomènes et, en ce sens, les critères sont aussi nombreux qu’il y a de gens sur la terre. Je crois que nous sommes un peu en crise de « critères » pour évaluer la valeur des productions culturelles et que la solution se trouve peut-être dans le fait d’assumer cette posture subjective par opposition à une posture normative. Enfin, je crois que Barbe, ici, critique la critique elle-même (plutôt que les gens en général), la frilosité avec laquelle les critiques culturelles admettent les jugements de valeur, leur propre jugement de valeur…Et la frilosité avec laquelle on accueille ceux-ci aussi…

    Enfin, je suis assez d’accord avec sa posture, même si je ne la formulerais pas comme lui. Cette idée que « les goûts ne se discutent pas » marquent vraiment notre époque (et je crois que c’est ce qu’il veut dire ici dans son article) 🙂

  2. Avatar de Simon Dor

    Tout à fait, c’est vraiment mieux formulé que ce que j’ai essayé de le faire plus haut et c’est tout à fait comme ça que je le comprends. Merci!

    J’avoue que je n’avais pas eu cette lecture du texte et que c’est plus pertinent de le voir ainsi. Je vois aussi cette crise, qui va jusque dans les universités, où on va jusqu’à croire que l’étude des arts consiste à formuler leur appréciation selon des « critères académiques », alors que j’ai toujours cru que d’étudier l’art était le plus souvent une manière de pouvoir en discuter l’expérience (dont, parfois, les critères pour le jugement de valeur).

    Je crois parfois qu’on voit du goût là où ce n’est pas la question, et c’est un peu ça qui je crois m’a fait lire le texte de Barbe comme je l’ai lu. J’entends souvent des gens critiquer le fait qu’on s’intéresse maintenant à tout dans les universités, sans égard à la « qualité » des oeuvres (mon étude des jeux vidéo n’y est pas étrangère). Alors que je crois justement que, quand on étudie une chose, ce n’est pas en soi pour en faire le jugement de valeur, et qu’on peut étudier le plus sérieusement du monde quelque chose qui est vu comme uniquement divertissant.

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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