L’enfant prodige de Luc Dionne (2010): entendre la musique intérieure

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Je ne suis pas un fan de Luc Dionne, tout comme je n’ai pas aimé L’enfant prodige (2010). Trop de romantisme probablement, pas vraiment parce qu’il y a trop de musique, mais peut-être parfois parce que la musique est de trop. Ce film biographique sur André Mathieu se voulait une manière de se rappeller l’héritage d’un compositeur québécois oublié.

Une scène très particulière de ce film m’a agacé au plus haut point. Elle fait écho à plusieurs autres mises en scène similaires, surtout vues dans les séries télé contemporaines.

Patrick Drolet incarnant André Mathieu (Source).

Marc Labrèche, qui incarne le père d’André Mathieu, est avec Benoît Brière, qui incarne Wilfrid Pelletier. Les deux regardent une partition musicale d’André Mathieu et s’imaginent la musique qu’ils lisent sur la feuille. Évidemment, nous spectateurs entendons la musique qu’ils s’imaginent.

On voit souvent ce genre de choses dans les séries télé. Tel personnage qui a perdu sa femme est triste, pleure, et pour être bien certain que le spectateur se rappelle que c’est son deuil qui est problématique, on voit sa femme décédée qui apparaît et qui lui dit des choses qui le culpabilisent. Parfois, ils se parlent même. La série Nos étés (réalisateurs variés, Anne Boyer et Michel d’Astous [auteurs], 2005-2008) avait poussé ces images de morts à son point culminant. Il y en a jusque dans Apparences (Francis Leclerc [réal.], Serge Boucher [auteur], 2012).

Mise en scène de l’image et mise en scène de la réalité

Ceci me rappelle quelques propos d’André Bazin sur la mise en scène de l’image versus la mise en scène de la réalité, résumés dans la thèse de doctorat de Vincent Bouchard (2007, p. 24-27). La mise en scène de la réalité correspond davantage à l’idéal du « montage interdit » de Bazin, qu’il voyait surtout chez les néo-réalistes italiens. Il s’agit de présenter les événements diégétiques sans trop d’artifices, que ce soit un montage alterné, une musique entraînante/triste, un filtre de couleur, un ralenti, etc. En voyant une image avec peu d’artifices, la rencontre avec l’événement devient semblable à une rencontre similaire que l’on pourrait avoir dans la réalité, évidemment sans la distance que nous avons nécessairement devant un écran de cinéma. Cela dit, un ralenti avec une trame musicale mélancolique nous entraîne d’une manière ou d’une autre vers une émotion, comme si l’événement n’était pas assez puissant en lui-même pour le faire. Les images en surimpression lorsqu’André Mathieu, interprété par Patrick Drolet, performe en sont un autre exemple.

Mettre en scène une image d’une émotion peut être intéressant, parfois, mais si la même émotion peut être atteinte à partir d’une mise en scène de la réalité, c’est d’autant plus frappant car cette émotion s’est construite bien davantage dans notre esprit que dans le film même. Ajouter la musique à la pensée des personnages de Brière et Labrèche, c’est penser qu’un spectateur n’est pas capable de s’imaginer lui-même que les deux personnages sont enthousiasmés par de la musique. Je ne vois pas nécessairement la mise en scène de la réalité comme le seul idéal à atteindre, mais il y a une limite qui m’irrite dans l’autre direction, et ajouter de la musique en pensée en est pour moi un exemple patent.


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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