Marshall McLuhan est l’un des intellectuels canadiens les plus connus dans le monde. C’est sans doute la formule « Le médium, c’est le message » qui a rendu célèbre son ouvrage Pour comprendre les média. Les prolongements technologiques de l’homme (v.o. 1964, 1968 pour la traduction française).
Pour McLuhan, un média* peut être chaud ou froid ([1964] 1972, p. 40). Les médias chauds sont ceux qui ont une haute définition, une grande précision, qui offrent une expérience plus complète: ils bloquent l’imagination davantage qu’ils ne la suscitent. Les médias froids, eux, nécessitent un remplissage par l’imagination et favorisent la participation ou l’achèvement.
J’ai donné l’exemple de Blanche-Neige: à l’origine un mythe et un conte notamment connu sous la plume des frères Grimm, on ne peut plus évoquer son nom sans avoir immédiatement en tête son adaptation de Disney, Snow White and the Seven Dwarfs (David Hand, 1937). Le cinéma est en ce sens un média chaud, là où le mythe ou le conte seraient plus froids.
McLuhan ne propose pas un grille où il placerait certains médias comme chauds et d’autres comme froids. Il classe pourtant certains dans une catégorie plutôt que l’autre: ainsi, la radio serait chaude alors que le téléphone serait froid, et la télévision serait froide alors que le cinéma serait chaud.
Mais son analyse des médias est plus complexe. Pour lui, le contenu d’un média serait toujours un autre média: par exemple, le film pourrait contenir « un roman, une pièce ou un opéra. Et l’effet du film n’a rien à voir avec son contenu » (p. 34). Au fond, il ne « rejette » pas le contenu: il appelle à comprendre que le contenu n’est pas transmis d’une manière neutre, puisqu’il y a derrière un autre média. On peut dire, par exemple, que la télévision est cachée derrière le bulletin de nouvelles, la pub ou la série télé.
Plus encore, McLuhan reconnaît qu’il y a du froid et du chaud dans le même média. Il rappelle en ce sens une réflexion de Francis Bacon sur deux types d’écriture:
Francis Bacon comparait fréquemment la prose froide et la prose chaude. À l’écriture « méthodique », à consommer telle quelle, il opposait l’écriture « par aphorismes », faite de pensées comme celle-ci: « La vengeance est une forme primitive de justice. » Le consommateur passif veut sa nourriture toute cuite, mais ceux qui ont le souci de la poursuite de la connaissance et de la découverte des causes, expliquait-il, préfèrent les aphorismes parce qu’ils sont incomplets et imposent une participation en profondeur (p. 49).
Il devient alors plus important de comprendre que le froid et le chaud ne sont pas nécessairement inscrits dans le fonctionnement immuable du média, mais qu’ils sont des outils pour comprendre son fonctionnement.
Le jeu vidéo, froid ou chaud?
Évidemment, le jeu vidéo peut sembler poser problème dans cette distinction entre chaud et froid. On peut le considérer comme à la fois chaud et froid, selon les éléments considérés. Les jeux récents ont une image et un son détaillés et complets (et donc chauds), mais incitent à la participation parce qu’ils nécessitent une manipulation directe (et donc froids).
Un jeu comme le mode solo de Battlefield 3 (EA Digital Illusions CE AB, 2011) nous incite à jouer d’une manière si précise qu’il en devient très peu participatif. Dans cet exemple, lorsque je cherche à me cacher derrière un escalier pour empêcher l’arrivée de troupes ennemies, on m’indique rapidement que je dois plutôt monter en haut. Une fois la vague terminée, je quitte par le mauvais escalier, mais j’ai quelques secondes pour changer de direction, sans quoi la partie se terminera. Évidemment, il y a toujours un signal visuel pour m’indiquer la direction à prendre, un signal très utile d’ailleurs pour me guider dans le noir.
Au contraire, la complexité des actions à apprendre dans un jeu de combat comme Killer Instinct (Rare, 1995) met en évidence la froideur de certains jeux. Ici, une séquence jouée par Derek Soares Castro.
Au fond, il est plutôt clair que, selon les aspects considérés, le jeu vidéo est alternativement chaud ou froid, et à la fois chaud et froid.
Note
* Le terme « medium » est traduit « médium » chez McLuhan dans la version de 1972 que je possède. Mon amie et collègue Audrey Bélanger me précise que c’est une mauvaise traduction et que « média » au singulier est privilégié aujourd’hui.
Référence
McLuhan, Marshall. [1964] 1972. Pour comprendre les média : les prolongements technologiques de l’homme. 2e éd. Montréal: Hurtubise HMH.
Image tirée de http://www.toutlecine.com/images/film/0000/00003481-blanche-neige-et-les-sept-nains.html.
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