La stratégie, en temps réel

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Comme je m’intéresse aux jeux de stratégie en temps réel, j’ai été souvent confronté à différentes définitions de la stratégie. J’en ai exploré quelques-unes dans mon mémoire de maîtrise. Comme je suis en rédaction de thèse en ce début d’année, je vous propose dans une série de quelques billets de revisiter quelques-unes des définitions que j’ai explorées dans mon mémoire. L’occasion pour moi de faire un retour sur mon propre travail.

L’expression « jeu de stratégie en temps réel » est pour certains un oxymore. Andrew Rollings et Ernest Adams indiquent que les jeux qui impliquent de la stratégie pure sont des jeux de stratégie en tour par tour plutôt qu’en temps réel (2003, p. 322). Il semble que la stratégie nécessite un temps de réflexion que la vitesse des STR ne favoriserait pas. Certaines définitions usuelles de la stratégie dans les STR ne la voient pas comme centrale:

Une définition usuelle de la stratégie dans Starcraft pourrait être: « Si vous jouez les Zergs, créez beaucoup de Zerglings au début de la partie et attaquez rapidement les bâtiments centraux de votre adversaire avant qu’il ait eu le temps de se construire une armée. » Une stratégie dans ce sens usuel est un ensemble d’heuristiques générales ou de règles simples qui vous guident pendant que vous jouez (Salen et Zimmerman 2004, p. 236, je traduis).

Katie Salen et Eric Zimmerman décrivent les principes de base d’un « Zerg Rush » à StarCraft. Les actions d’une stratégie en ce sens ne sont pas nécessairement dictées de manière aussi précise qu’une stratégie d’ouverture; la stratégie renvoie à une description plus générale d’une action à entreprendre dans un jeu pour mener à la victoire.

Suivant la définition très basique de Salen et Zimmerman, une stratégie serait donc un ensemble de principes définis plus ou moins clairement qui guident le joueur dans la partie. Le fait que le jeu soit en temps réel semble induire qu’il n’y a pas une dynamique où c’est la confrontation entre les stratégies qui importe, particulièrement dans les cas où il faut changer rapidement de stratégie en cours de route. La vitesse de réaction apparaît pour plusieurs comme un élément plus important que la stratégie elle-même dans les STR.

Pourtant, c’est la stratégie qui reste l’enjeu principal. C’est sans doute la définition de la stratégie que Carl von Clausewitz proposait au XIXème siècle qui illustre le mieux comment celle-ci reste à l’œuvre tout au long d’une partie. Cette définition est centrale pour mon propos :

En d’autres termes, la stratégie établit le plan de guerre ; elle y rattache la série des opérations destinées à le réaliser ; elle rédige les projets de campagne, et dispose et échelonne les divers combats. Mais comme son travail se base sur des hypothèses générales qui toutes ne se réalisent pas, et que même maintes déterminations particulières ne se laissent ni deviner ni prévoir du tout, il en résulte que la stratégie doit accompagner l’armée en campagne, pour être à même de disposer chaque chose en son heure et place, et d’apporter à l’ensemble les incessantes modifications que les circonstances réclament. En un mot, la stratégie ne peut se retirer du jeu à aucun moment ([1832] 1989, p. 185, je souligne).

Dans cette définition, la stratégie n’est pas un plan, comme on l’entend au sens usuel. Elle est un processus heuristique qui utilise ou établit un plan et qui cherche à l’adapter aux circonstances changeantes. En commençant avec une certaine idée des choix qui seront entrepris, elle tient compte des événements pour adapter ses actions, sélectionner un nouveau plan plus approprié parmi un répertoire créé par l’expérience de jeu ou les guides de stratégie, voire créer de toutes pièces un nouveau plan à partir de séquences d’actions déjà connues.

Même si d’autres facteurs peuvent venir influencer le résultat de la partie, notamment la vitesse à laquelle un joueur entreprend ses actions, StarCraft reste un jeu fondamentalement stratégique. On verra dans les prochains billets comment cette idée devient plus évidente lorsqu’on pense à la stratégie comme processus en relation avec les compétences, les actions et la pensée qui se mobilisent durant le jeu.

Références

Clausewitz, Carl von. [1832] 1989. De la guerre : œuvre posthume. Paris: G. Lebovici.

Rollings, Andrew, et Ernest Adams. 2003. Andrew Rollings and Ernest Adams on game design. 1ère éd. Indianapolis, Ind.: New Riders.

Salen, Katie, et Eric Zimmerman. 2004. Rules of play: game design fundamentals. Cambridge, MA: MIT Press.


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


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