Le jeu vidéo fait-il partie de la culture?

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Je pose une question dans mon titre mais la question en soi est peu importante: « Le jeu vidéo fait-il partie de la culture? ». Je suis quelqu’un d’assez pragmatique pour bien des questions de ce type et je pense que le jeu vidéo ne fera pas partie de la culture tant qu’on ne le traitera pas comme tel. Et je ne parle pas tant de la manière dont le grand public ou les médias le traitent; tout commence par ceux-là même qui souhaitent intégrer le jeu vidéo dans la culture.

Enseigner la littérature

Sylvia Plath - The Bell Jar

Je lis ces temps-ci le blogue d’Amélie Paquet et Julie Boulanger, Le bal des absentes. Leurs textes se nourrissent de leur expérience d’enseignement de la littérature au cégep et à l’université en étant la plupart du temps centrés sur une œuvre spécifique et sur la réception de la dite œuvre par leurs étudiants. J’ai été particulièrement touché entre autres par le texte sur La Cloche de détresse de Sylvia Plath que j’ai moi-même lu dans un contexte universitaire. Le décalage entre la réception qu’avait anticipée Julie, la réception qu’elle-même avait eue et la réception réelle exprime une crainte réelle de l’enseignement, mais explique bien la diversité des expériences littéraires.

Je me reconnais évidemment dans leur position d’enseignante qui cherche à transmettre son expérience d’un objet culturel et qui constate les limites du modèle de cours magistral. Les moments que je préfère en classe, c’est lorsqu’on discute d’un texte pour comprendre l’argumentation d’un auteur, qu’on questionne son approche, ses prémisses et sa pertinence. J’aime d’autant plus quand je suis capable de restituer une partie de ce questionnement autour d’un jeu vidéo: comment ce jeu exprime-t-il? Comment nous permet-il de penser le monde?

Enseigner l’histoire

Dans son plus récent billet, Amélie critique l’approche très historienne des enseignants de littérature qui insiste sur le contexte historique par chronologies plutôt qu’en passant par la littérature elle-même.

Pour parler de l’Occupation et de la Libération de Paris, par exemple, il est nettement plus stimulant de lire Le sang des autres de Simone de Beauvoir, La douleur de Marguerite Duras ou La chasse à l’amour de Violette Leduc que d’en résumer les grandes lignes à partir des dates et des faits. Les profs de littérature possèdent cette force et cette liberté que les profs d’histoire n’ont pas. Il faut en profiter, bon sang!

Sur le coup, je n’ai pas réalisé ce que ça impliquait pragmatiquement. Surtout, je n’ai pas fait le lien avec le jeu vidéo. Je me suis questionné à savoir si j’étais véritablement d’accord même avec cette idée. Ayant une approche très axée sur l’analyse de l’acte de médiation lui-même, je me dis souvent que de passer par un véhicule médiatique fort — la littérature, le cinéma, une série télé — pour enseigner un « contenu » poserait problème.

Mais l’enseignement de l’histoire implique aussi une médiation qui, même si elle tend à vouloir s’effacer, reste un positionnement sur l’événement. Autrement dit, il n’existe pas de « contenu » qui puisse être accessible sans passer par un acte médiatique; le contenu, c’est le média, pourrait-on dire en adaptant la formule de Marshall McLuhan. La question qui m’a frappé fut alors: pourquoi la littérature permettrait-elle une connaissance historique?

La double érudition

Et c’est là au fond que j’ai doublement été frappé, non plus uniquement d’une question, mais d’une sorte d’évidence. Bien sûr que la littérature permet la connaissance historique. Développer son érudition littéraire permet par la force des choses de développer ses connaissances générales, sa connaissance de l’histoire, de la politique, de la culture, etc. Enseigner la littérature implique presque par définition de connaître le contexte historique, non seulement celui de l’œuvre qu’on enseigne, mais aussi tout ceux avec lesquels l’œuvre entre en dialogue: le contexte diégétique où elle se déroule, les événements historiques auxquels on fait directement ou indirectement allusion, etc.

Là où je veux en venir, c’est au simple fait, évident et donc d’autant plus indispensable, que la littérature fait partie de la culture parce que découvrir des livres, c’est se cultiver. J’en espère pas moins du jeu vidéo.

Bien sûr, on pourrait commencer par les œuvres elles-mêmes. Les jeux vidéo devraient être en mesure de nous permettre de nous cultiver, de traiter de contenus plus en profondeur, d’explorer différentes perspectives sur le monde, etc.

Je pense par contre que c’est d’abord et avant tout la manière dont on aborde les choses qui nous permet de les inscrire ou non dans la culture. Critiquer les jeux vidéo devrait impliquer d’écrire sur la culture avant de parler d’avancées technologiques ou d’anticiper les prochaines sorties. Quand j’écris sur l’université, sur la culture, sur la rédaction, sur la musique et sur le jeu vidéo sur le même blogue, c’est comme si je m’éparpillais; je le constate jusqu’aux mots-clefs employés par les internautes pour découvrir mon site. « Jeu vidéo » semble avoir davantage de liens avec « techno » qu’avec « littérature » ou « politique ». C’est comme si on s’attendait à ce qu’un blogue littéraire traite de cartouches d’encre et de mise en page.

J’ai espoir que dans un moyen terme, on puisse en arriver à respecter les jeux vidéo comme objets culturels, mais aussi à se respecter comme joueurs en réfléchissant aux expériences qui nous parlent, en se rappelant qu’on peut développer une érudition sur les jeux vidéo et, par le fait même, développer sa culture générale.

Parler de jeux vidéo est une chose, parler de la culture par les jeux vidéo en est une autre. Mais parler de culture et de jeux vidéo en même temps, sans tout à fait chercher à séparer l’un de l’autre, pourquoi pas?


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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