Repenser l’histoire de la jouabilité. L’émergence du jeu de stratégie en temps réel

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J’ai le plaisir de présenter ici ma thèse de doctorat intitulée « Repenser l’histoire de la jouabilité. L’émergence du jeu de stratégie en temps réel ». À travers l’exemple du STR, je me suis interrogé à savoir si la jouabilité venait jouer un rôle dans l’écriture de l’histoire des jeux vidéo. Il en a émergé un texte qui est parallèlement histoire d’un genre et essai sur la jouabilité.

Je présente les objectifs de ma thèse dans mon résumé de cette manière:

L’objectif de cette thèse est de réfléchir aux enjeux d’une histoire du jeu de stratégie en temps réel (STR). Il s’agit de mieux comprendre les contextes dans lesquels le genre prend sens pour historiciser son émergence et sa période classique. Cette thèse cherche à documenter, d’une part, la cristallisation du STR en tant qu’objet ayant une forme relativement stable et en tant que corpus précis et identifié et, d’autre part, l’émergence des formes de jouabilité classiques des STR.

Entre deux images: la jouabilité est un contexte de sens

Je débute ma thèse avec deux images très semblables tirées de StarCraft II en expliquant que, fondamentalement, ma réflexion porte sur la différence entre ces deux images. Les voici:

StarCraft II en mode campagne
Capture d'écran 2015-12-12 23.28.12

La première est une image tirée de la campagne de StarCraft II; la seconde, tirée d’une partie personnalisée. Ces deux images sont perçues différemment, chacune étant codée d’une manière qui permet de la lire pour prendre des décisions stratégiques. Ces deux images sont différentes parce qu’elles ont des histoires différentes et que, conséquemment, un joueur va les percevoir dans leur contexte.

La problématique qui a guidé mes recherches était justement celle-ci. Je cherchais à remettre en question la catégorisation de genre, la forme de continuité qu’elle représentait.

Pourquoi deux expériences fort semblables en apparence mais distinctes dans leur jouabilité appartiennent-elles à un même genre? Ces deux expériences peuvent de surcroît être vécues au sein d’un même jeu — ici, StarCraft II. Y a-t-il véritablement une relation de continuité à y voir? (p. 5)

C’est pour cette raison que j’ai focalisé les deux premières parties de ma thèse sur des enjeux épistémologiques; j’ai cherché à réfléchir aux manières dont les formes de continuité sont créées, ce qui m’a poussé à explorer les travaux de Michel Foucault et de Paul Veyne, entre autres. J’ai cherché à comprendre l’expérience des jeux vidéo, en m’inspirant notamment de la réflexion de Peter J. Rabinowitz sur le genre, lorsqu’il affirme que

[…] les genres peuvent être vus non seulement de la manière traditionnelle, comme des schémas ou des modèles que les écrivains suivent en construisant des textes, mais aussi dans l’autre sens, comme différents ensembles de règles que les lecteurs appliquent en construisant les textes, comme des stratégies préfabriquées pour la lecture (1987, p. 177, je traduis)

Une histoire de la jouabilité

J’ai débuté ma réflexion en montrant de quelle manière la stratégie est un terme polysémique. Il n’y a pas que de la stratégie dans les jeux de stratégie et ces derniers ne sont pas exclusivement stratégiques. Le terme même de « stratégie » évoque différentes choses qu’on en parle dans des contextes militaires ou d’affaires, ou dans la théorie des jeux, par exemple.

Cette polysémie complexifie l’histoire d’un genre. Pourquoi choisir de m’intéresser à certains jeux plutôt qu’à d’autres? Un jeu qui demande de la stratégie fait-il nécessairement partie de l’histoire des jeux de stratégie? Qu’est-ce qui me permet de tracer une ligne pour relier différents jeux entre eux et en écrire une histoire?

Au fond, ce qui m’a intéressé, c’est d’écrire ce que j’appelle une histoire de la jouabilité. Je me suis intéressé aux traces que laisse l’expérience des jeux, et non uniquement les jeux eux-mêmes, pour voir de quelle manière cette expérience pouvait offrir une continuité historique différente de celle des jeux et plus représentative de ce qui a construit les jeux. Ce ne sont pas que les objets qui ont une histoire, mais la manière dont on les utilise.

J’ai utilisé le concept de formation discursive de Foucault pour montrer que la jouabilité se construit comme un discours qui rend légitimes et acceptables certaines pratiques par rapport à d’autres. J’en suis venu à décrire ce que je nomme des énoncés actionnels, soit une unité de discours décrivant de la jouabilité permettant d’isoler des pratiques entre elles, dans ce que je nommerai des paradigmes de jouabilité.

Histoire d’un genre, entre deux paradigmes de jouabilité

Pour décrire le jeu de stratégie en temps réel, j’ai isolé deux paradigmes de jouabilité: le paradigme de décryptage et le paradigme de prévision. C’est l’idée, au fond, que les STR ne sont pas une forme de jouabilité tout au long de leur histoire, mais (au moins) deux.

On décrypte lorsqu’on joue contre une intelligence artificielle et qu’on cherche à comprendre les patterns sur lesquels elle se base, qu’on cherche à mieux cibler ce qui gère ses actions pour y répondre efficacement. Un cas typique est un jeu de tower defense: on a des vagues d’ennemis qui nous attendent et on cherche à optimiser nos actions pour chercher à répondre à ces vagues.

On prévoit lorsque notre expérience se base sur les règles du jeu et sur les habitudes stratégiques des joueurs pour anticiper des actions futures. C’est le cas du jeu d’échecs: les deux joueurs ont des possibilités d’actions similaires et on anticipe son adversaire par rapport à celles-ci. En général, on prévoit en multijoueur quoique ce soit tout à fait possible de le faire contre une intelligence artificielle aussi, si elle est suffisamment bien pensée.

L’histoire que j’ai cherché à écrire tient compte de l’existence de ces deux manières de jouer. Je me suis intéressé aux wargames des années 1970 et à l’apparition des jeux de stratégie en multijoueur, surtout dans les années 1980. Les deux paradigmes coexistent dans les mêmes jeux en particulier durant les années 1990, les séries Warcraft et Command & Conquer en étant très emblématiques.

Je présenterai sur ce blogue comme dans des textes publiés ailleurs plusieurs des concepts qui m’ont guidé et des conclusions qui ont découlé de cette thèse sur les jeux de stratégie. N’hésitez pas à me contacter si le sujet vous intéresse ou si vous avez des questions ou commentaires, ce sera un plaisir de pouvoir en discuter!


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3 réponses à “Repenser l’histoire de la jouabilité. L’émergence du jeu de stratégie en temps réel”

  1. […] Simon. 2015. « Repenser l’histoire de la jouabilité : l’émergence du jeu de stratégie en temps réel » [extrait]. Thèse de doctorat, Montréal: Université de […]

  2. […] autres parce que l’expression est très polysémique. J’ai fait mon premier chapitre de thèse à peu près sur l’étendue du terme, tout en soulignant ce que cette étendue révélait sur […]

  3. […] Au final, je voudrais clarifier deux objectifs de ce mémoire qui sont en constant dialogue au cours du texte : d’un côté, proposer une réflexion aboutie et complète sur un sujet précis, soit celui de la stratégie comme processus cognitif dans StarCraft; de l’autre côté, rendre compte de la complexité du contexte dans lequel cette réflexion s’inscrit et voir comment les résultats de ma recherche ne sont qu’une introduction à d’autres questions, méthodologiques et épistémologiques, que je pourrai explorer dans mon projet de doctorat. […]

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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