Le cours « Éthique et jeu vidéo » que je donne cette session m’intéresse particulièrement entre autres parce que l’éthique est probablement la partie la plus « pratique » de l’aspect théorique des jeux vidéo. Ce sont davantage des questions ouvertes que des réponses précises qu’une réflexion sur l’éthique des jeux, des joueurs et des créateurs permet.
La morale dans les jeux vidéo est très souvent représentée d’une manière assez simpliste, comme un combat entre anges et démons dans un Heroes of Might and Magic III (New World Computing, 1999). Il importe bien sûr d’aller plus loin et de comprendre les questions morales et éthiques que le jeu vidéo implique.
L’éthique et la morale
Le mot « éthique » est souvent utilisé au même sens que le mot « morale ». Dans les faits, il n’y a pas une distinction absolue entre les deux. Par contre, comme Mark Hayse le souligne, on distingue souvent les deux sur la base de leur rapport à l’action elle-même. La morale va souvent désigner les « valeurs spécifiques et aux pratiques de la vie personnelle, sociale et culturelle d’une personne », alors que l’éthique renvoie plutôt « aux systèmes, méthodes et écoles de pensée par lesquelles quelqu’un détermine ce qui est moral et ce qui ne l’est pas » (2014, p. 466). Suivant cette idée, la morale est le « contenu » alors que l’éthique est le « contenant ».
Pour paraphraser maladroitement le titre d’un livre de Nietzsche, l’éthique est par-delà le bien et le mal. Si une réflexion morale implique de se questionner sur ce qui est bien et ce qui est mal (et entre-deux), une réflexion éthique est un questionnement sur la manière dont on détermine ce qui est bien ou mal (et entre-deux).
L’éthique implique un discours
Mais justement, cette manière de déterminer le bien et le mal implique de comprendre le contexte. L’approche que je préconise est semblable à celle que proposait Lucie Roy dans l’introduction d’un numéro de la revue Cinémas consacré à l’éthique au cinéma. Plutôt que de questionner la morale, on cherche à « saisir la pensée dans le discours » (1994, p. 7), à comprendre les possibilités expressives du média et à voir les questionnements éthiques que les jeux eux-mêmes proposent en tant que discours.
Questionner l’éthique en jeu vidéo, c’est comprendre de quelle manière le jeu vidéo est le vecteur et le lieu de questions éthiques parce qu’il est un discours, parce qu’il offre un contenu médiatisé qui a une existence réelle dans notre vie culturelle et sociale. En tant que discours, il n’existe pas seul: il a été produit et existe dans un contexte précis.
Il y a au moins deux perspectives à prendre en considération, lesquelles sont en dialogue l’une l’autre. D’une part, considérer l’éthique du système d’un jeu vidéo. C’est largement la perspective prise par Miguel Sicard dans The Ethics of Computer Games (2009); on s’intéresse au sens du jeu à travers ce que le système nous exprime, ce qu’il nous permet de faire en tant que joueur.
D’autre part, on peut considérer l’éthique du jeu vidéo comme média et comme industrie. Les réflexions dans la lignée de celles de Marshall McLuhan sur les médias sont pertinentes parce qu’elles cherchent à montrer que le média a son influence non pas tant dans le contenu lui-même que dans son existence. La portée que permet la diffusion sur Internet aujourd’hui a un effet sur nos vies au-delà du contenu même qui s’y diffuse; on est sans cesse connectés et cette connexion a changé notre manière d’être.
Mais le jeu vidéo n’est pas qu’un média, c’est aussi une industrie. Et en tant qu’industrie, elle obéit aux mêmes logiques que le système capitaliste dans son ensemble. Lorsqu’un utilisateur anonyme se déclarant employé d’Ubisoft avait affirmé que la compagnie ne prévoyait pas de jeu de la série Assassin’s Creed en 2016, le titre de la compagnie en bourse a rapidement perdu 9% de sa valeur (Codère 2016).
De la même manière, une compagnie de jeu vidéo a un certain rapport éthique vis-à-vis de son joueur, qui est aussi le consommateur d’un produit. Un joueur cherche à en avoir pour son argent, alors que les compagnies ont parfois des franchises fortes qui poussent les joueurs-consommateurs à dépenser sans assurance de la qualité de l’expérience de jeu.
L’éthique en jeu vidéo prend différentes formes et peut impliquer différentes approches et objets d’études. Les réflexions que l’éthique ouvre sont très larges et j’aurai de nombreuses occasions d’en explorer plusieurs dans de prochains articles. Le prochain concerne l’identité et le choix dans un jeu vidéo.
Références
Codère, Jean-François. 2016. « Ubisoft: nouvelle rumeur autour d’Assassin’s Creed ». La Presse, 11 janvier.
Hayse, Mark. 2014. « Ethics ». Dans Mark J. P. Wolf et Bernard Perron (dir.), The Routledge Companion to Video Game Studies, p. 466‑474. London/New York: Routledge.
Roy, Lucie. 1994. « Présentation ». Cinémas, vol. 4, no 3 (printemps), p. 7‑14.
Sicart, Miguel. 2009. The Ethics of Computer Games. Cambridge, MA: MIT Press.
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