J’ai donné cet automne le cours « Jeu vidéo, Internet et mobilité », un cours de première année pour les étudiants du profil design à l’UQAT. Je me suis questionné au départ à savoir ce qui allait resurgir comme point central de ce cours. Je souhaitais intégrer une dimension de création tout en permettant d’approfondir des notions théoriques et historiques.
J’ai alors imaginé un diagramme de Venn qui permettait de réfléchir aux trois notions de l’intitulé du cours: Jeu vidéo, Internet, mobilité.
C’est simple voire simpliste mais ça résume ce que je souhaitais couvrir au départ dans ce cours. On a traité du croisement entre le jeu vidéo et Internet: l’impact de la connectivité sur la jouabilité. On a traité du croisement entre mobilité et jeu vidéo: comment les jeux sont devenus mobiles et ce qui change dans leur expérience. Mais on a aussi traité de la relation entre mobilité et Internet au-delà du jeu vidéo, c’est-à-dire, du changement qu’il y a eu dans nos relations avec la connectivité du moment où on est, avec nos appareils mobiles, toujours en ligne.
C’est certainement le point de croisement entre les trois qui a été le plus traité, parfois indirectement. Quelle est la culture ludique de nos jours dans laquelle mobilité et connectivité prennent une part essentielle? Comment la relation entre ces trois concepts forme la base d’une culture de plus en plus basée sur le jeu qui intègre différentes sphères de la vie quotidienne?
La technologie n’apparaît pas de nulle part
J’ai repris une idée de base qui me sert lors de mes recherches pour insister sur l’importance de connaître l’histoire même lorsqu’on réfléchit à un phénomène nouveau. Elle vient de Steve L. Kent dans son histoire des jeux vidéo:
Les nouvelles technologies n’apparaissent pas simplement de nulle part. Elles doivent être associées à des industries ou des idées déjà familières (Kent 2001, p. 2).
Si le jeu sur Internet existe depuis la fin des années 1990, il tient son héritage non seulement des jeux connectés par modem ou réseaux de toute sorte depuis les années 1960, mais aussi aux jeux traditionnels qui impliquent bien sûr pour la plupart des relations sociales.
Les jeux mobiles semblent en un sens plus récents, car ils impliquent une technologie portative qui n’était évidemment pas disponible avant les années 1980. Par contre, les jeux de cartes de fin de soirée du temps des Fêtes remplissaient une fonction somme toute similaire aux jeux mobiles: à peu près tout le monde possédait un ensemble de 54 cartes, prêtes à être utilisées dans le cadre de n’importe quelles règles.
Une culture ludique au-delà de l’espace traditionnel
Il y a par contre un point commun entre mobilité et connectivité qui entre relativement en rupture avec le jeu vidéo classique. C’est que ces jeux mobilisent un espace de jeu au-delà de l’espace traditionnel du salon ou du bureau d’ordinateur. J’ai alors expliqué le concept de cercle magique, que j’ai déjà expliqué ici, pour montrer que ces jeux tendent à brouiller les frontières entre jeu et non-jeu. Nous ne sommes plus dans un jeu très déterminé dans le temps où il y a un début et une fin, où on arrête et recommence à jouer.
Lorsqu’on joue sur une console connectée ou une plate-forme comme Steam, de nombreuses alertes nous informant de l’état de jeu de nos amis viennent ponctuer nos séances ou notre navigation web. Mon cousin il y a quelques jours savait déjà que j’avais acheté une PS4 en me voyant connecté au PlayStation Network pour la première fois depuis quelques années.
Lorsqu’on se connecte une seule fois à un jeu mobile, on reçoit parfois de nombreuses notifications nous rappelant que notre château nous attend ou nous pouvons réclamer un bonus particulier, et ce, sans s’y être volontairement connecté. Dans Shuffle Cats (King, ∼2016), je peux réclamer un bonus de 500 gemmes à une intervalle particulier, et plus j’attends pour la réclamer, plus la boucle de renouvellement de ce 500 gemmes va être retardée.
Tout le phénomène Pokémon Go (Niantic Labs/Nintendo/The Pokémon Company, 2016) repose sur cette idée: on n’a pas à être « dans » le jeu ni à regarder directement l’écran pour que les actions de notre vie quotidienne soit liées aux actions du jeu.
Les jeux sur le net et les jeux mobiles ont pris l’inspiration d’une pionnière de la sociabilité dans les jeux, Danielle Bunten Berry, à l’origine de nombreux jeux vidéo qui ont cherché à exploiter les possibilités sociales que le média pouvait impliquer. L’une de ses célèbres phrases est celle-ci:
Jamais personne sur son lit de mort n’a dit: « J’aurais aimé passer plus de temps seul avec mon ordinateur! » (Bunten Berry, citée dans Costikyan 1998).
C’est en quelque part l’objectif fondamental de ce cours: réfléchir aux aspects sociaux des jeux à travers les nombreuses formes qu’ils ont pu prendre.
Références
Costikyan, Greg. 1998. « Happy Puppy Remembers a Pioneer ». http://www.costik.com/dani1.html.
Kent, Steve L. 2001. The ultimate history of video games : from Pong to Pokémon and beyond. New York: Three Rivers Press.
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