Je donne cette session-ci le cours Introduction aux études vidéoludiques (DJV1120), sans doute le cours le plus adapté à ce que je fais comme recherche. J’ai d’ailleurs repris la structure fondamentale du cours Analyse des jeux vidéo que j’ai donné à l’UQAM, que j’ai dû cependant modifier bien plus que je ne le pensais au départ.
D’un côté, préparer ce cours est d’autant plus intéressant parce que les thèmes et lectures que j’y aborde me sont extrêmement familiers. D’un autre, et comme j’ai donné de nombreux cours cette année, je prépare un peu ce cours par la négative: ce que je n’aborde pas ailleurs, c’est ce que j’aborde ici.
Et c’est en un sens la problématique que j’ai souhaité explorer cette session: j’ai invité les étudiants à voir ce cours en n’ayant pas constamment en tête la création de jeu. Ce cours est un peu l’exploration de tout ce qu’on peut analyser d’un jeu sans que ce soit pour le créer. Pourquoi étudier le jeu vidéo? Quels types de savoir allons-nous chercher? Pour quelles raisons ce savoir est-il pertinent et à quoi sert-il?
Qu’est-ce que les études vidéoludiques?
Les études vidéoludiques, c’est s’intéresser au jeu vidéo sans rester dans l’optique de créer un meilleur jeu. Je ne cherche ni à enseigner un certain goût, ni à enseigner des compétences techniques, ni même à enseigner la recherche-utilisateur, soit s’informer sur son joueur pour mieux répondre à ses besoins ergonomiques et/ou psychologiques.
J’ai présenté les études vidéoludiques comme deux choses:
- Un ensemble de discours scientifiques qui portent sur les jeux vidéo;
- Un champ d’études autotélique, de la recherche fondamentale.
Contrairement aux cours de design qui enseignent des moyens de rendre une idée efficace, ou aux cours d’art, qui enseignent des techniques pour rendre compte d’une idée en image, les études vidéoludiques n’ont pas d’objectif précis autre que celui, flou mais central, de faire avancer la connaissance.
J’ai présenté l’idée que les études vidéoludiques sont un champ de recherche scientifique, ce qui est bien sûr venu avec son lot de scepticisme habituel. On parle d’une science humaine, certes, mais une science quand même, notamment parce que le champ répond bien à un point fondamental défini par Karl Popper: la réfutabilité.
Proposer des énoncés réfutables
Pour Popper, un énoncé scientifique est un énoncé réfutable (qu’il appelle aussi falsifiable). Pour qu’un énoncé soit acceptable comme énoncé scientifique, il faut qu’il puisse y avoir une manière de démontrer qu’il soit faux, qu’il implique une hypothèse falsifiante. Il le résume bien ainsi:
Un énoncé implique d’autres énoncés avec lesquels il est incohérent — soit des énoncés qui le réfutent ([1935] 2002, p. 65-66, je traduis de l’anglais).
Le cas classique est l’existence de Dieu: un croyant tiendra à sa croyance peu importe ce qui arrive, peu importe ce dont il fait l’expérience. Ce n’est pas dire que Dieu existe ou qu’il n’existe pas; c’est dire que la phrase « Dieu existe » ne peut être recevable scientifiquement. À l’inverse, affirmer que la gravité attire les objets vers le centre de la Terre fonctionne dans la mesure où on admet qu’on peut le réfuter, advenant le cas où le phénomène ne serait plus observable et répétable.
Les études vidéoludiques fonctionnent selon le même principe. Prenons un thème développé par Jesper Juul dans A Casual Revolution (2009). Imaginons, par exemple, que je souhaite analyser un jeu pour démontrer qu’il correspond à une définition de jeu casual. Je définis dans le cadre de la démonstration le jeu casual comme, disons, un jeu qui n’offre pas la possibilité à son joueur de développer de larges compétences. L’hypothèse falsifiante de cet énoncé est ce qui la réfuterait: « On peut développer des compétences à ce jeu lorsqu’on y joue intensivement ». Alors, pour corroborer le plus possible l’énoncé initial, il faudra s’assurer que personne ne puisse tenir sérieusement l’hypothèse falsifiante comme vraie (ce que Juul démontre par ailleurs comme étant, en fait, faux pour la plupart des jeux dits casual).
Bien sûr, de nombreuses questions en sciences humaines n’ont pas une aussi grande prétention à l’universalité; elles impliquent souvent une subjectivité. Par contre, cette subjectivité reste objective en soi: si je suis un joueur de StarCraft et que je parle du jeu, les autres joueurs qui ont une connaissance du jeu semblable à la mienne vont pouvoir comprendre et accepter comme vrais plusieurs des énoncés que je propose sans que je doive les expliquer outre mesure. Tant et aussi longtemps que le doute sur un énoncé est sincère, il sera un questionnement valable. Mais même un énoncé qui ne vaut que pour une communauté de joueurs extrêmement précise reste un énoncé scientifique valable; l’ethnographie en a fait très souvent sa spécialisation.
J’ai alors pu présenter la méthode que j’ai choisi de mettre de l’avant comme moyen de faire des études vidéoludiques dans le cadre de ce cours, soit l’analyse de jeu vidéo. On y reviendra très bientôt pour la suite des choses.
Références
Juul, Jesper. 2009. A Casual Revolution: Reinventing Video Games and Their Players. Cambridge, MA: MIT Press.
Popper, Karl. [1935] 2002. The Logic of Scientific Discovery. London/New York: Routledge.
Laisser un commentaire