Trois conceptions de la triche dans un jeu vidéo

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J’ai travaillé sur la triche lorsque je participais aux séminaires d’Homo Ludens en 2009, qui ont abouti à un colloque à l’ACFAS et une publication aux PUQ. Mais nos réflexions ont été extrêmement redevables du travail de recherche de Mia Consalvo, qui a fait paraître en 2007 un livre sur les tricheurs en jeu vidéo. Dans mon cours d’éthique et jeu vidéo, dans une séance sur l’éthique du jouer, j‘ai décrit quelques-unes des conclusions auxquelles elle était arrivé pour parler du rôle fondamental qu’a le joueur dans sa relation éthique avec un jeu vidéo.

C’est une citation de Miguel Sicart qui me semble la plus virulente contre les tricheurs. Plus encore que les killers de Bartle, Sicart insiste pour dire que les tricheurs sont les pires:

Les tricheurs sont considérés, dans les jeux vidéo, les sports et les jeux de société, comme les pires cas qu’on puisse rencontrer. C’est parce qu’ils ne s’engagent pas envers le jeu et son expérience. Être un joueur est un acte d’engagement envers les règles, la communauté sociale et l’expérience du jeu (Sicart 2009, p. 72).

Le tricheur en vient, pour Sicart, à incarner celui qui ne prend pas part à l’expérience qu’est le jeu. Que veut-on dire, alors, quand on parle d’un tricheur?

Qu’est-ce que la triche?

Il semble simple d’identifier ce qui est de la triche dans une expérience de jeu versus ce qui n’en est pas. Par contre, quand on se met à questionner quelqu’un sur ce qu’est la triche, on constate que la réponse est extrêmement ambigue.

Consulter un guide de stratégie ou regarder un extrait de jeu sur YouTube pour ne plus être bloqué dans un jeu est-il de la triche? Peut-on utiliser des hacks spécifiques ou des mods pour optimiser son expérience de jeu? Si j’utilise un logiciel comme Overwolf pour m’entraîner à exécuter une stratégie d’ouverture dans StarCraft II, est-ce de la triche? Et si je demande à quelqu’un d’autre ce qu’il a fait pour combattre un boss?

Spawning Tool Build Advisor est un outil qui permet à un joueur de savoir en temps réel dans le jeu s’il est en retard dans sa stratégie d’ouverture (Source).

Consalvo explique l’ambiguïté de la triche ainsi:

Durant les six dernières années, j’ai demandé aux joueurs comment ils définissaient la triche dans les jeux et comment ils négociaient avec ou utilisaient la triche eux-mêmes. Certains réagissent comme si je leur demandais de révéler leur manque d’éthique et de valeurs, et répondent en affirmant que la triche est mal et qu’ils ne « feraient jamais cela ». Quand on leur demande « qu’est-ce que cela? », les réponses sont fragmentaires et perdent leur certitude morale. De toute évidence, il faut mieux comprendre l’éthique dans des situations de jeu et la manière dont les cadres éthiques peuvent être étudiés (Consalvo 2007, p. 187).

Ce que Consalvo souligne ici, c’est à quel point la seule certitude par rapport à la triche, c’est que c’est mal!

Trois conceptions de la triche

En interviewant des joueurs, elle constate cependant qu’il y a trois grandes tendances par rapport à la perception qu’ont les joueurs de la triche.

1) Un effort seul

Pour certains, l’important est que l’effort doit être fait seul, autrement, c’est de la triche. Par exemple, pour eux, aucune consultation de guide de stratégie, de walkthrough, voire même de discussions entre amis est envisageable. La seule manière de terminer le jeu légitimement est de le faire seul; autrement, l’expérience n’en est pas respectée.

2) Un programme intégral

Pour d’autres, l’important est que le programme conserve son intégralité, autrement, c’est de la triche. Ils voient le « code » du jeu comme étant le code d’éthique à respecter. Tout ce qui vient à modifier le code du jeu, que ce soit des hacks, mais aussi des mods pour optimiser l’interface.

3) Une relation sociale

Pour d’autres encore, la seule triche envisageable est celle qui se fait en relation avec les autres humains. On ne peut pas tricher contre une machine: elle n’a pas d’émotions. C’est l’expérience multijoueur qui peut être affectée par la triche. L’achat non-permise de monnaie de jeu pour avoir plus facilement accès à des objets spéciaux, par exemple, en viendrait à changer l’équilibre du jeu par rapport aux autres joueurs et devrait être condamné pour eux.

Tricher pour rendre le jeu accessible?

Les raisons de tricher peuvent aussi être différentes. De nombreux joueurs ont mentionné que la triche leur permettait de rendre le jeu plus accessible. Un long jeu de rôle qui demande beaucoup de grinding pour que les habiletés des personnages deviennent intéressantes est moins accessible à un joueur dans la trentaine qui doit concilier son activité à sa vie de famille. Consulter un walkthrough peut permettre d’intégrer un jeu dans sa vie quotidienne.

C’est moins d’actualité aujourd’hui, dans la mesure où les Let’s Play ou playthroughs existent, mais tricher permettait aussi tout simplement de compléter un jeu trop difficile ou dont certaines séquences sont mal faites au point de devenir déplaisantes.

Certains joueurs ont spécifiquement mentionné l’utilisation de codes ou de walkthroughs pour « avoir terminé le jeu le plus rapidement possible » pour atteindre un sentiment de complétion (p. 100).

La conception de la triche chez les joueurs n’est pas monolithique; toute question éthique en ce sens implique de réfléchir non pas au jeu comme séparé de l’expérience du joueur, mais en relation avec celle-ci. On le verra dans un prochain billet, mais c’est aussi essentiel lorsqu’on parle d’exprimer des idées par le jeu.

Références

Consalvo, Mia. 2007. Cheating: Gaining Advantage in Videogames. Cambridge, MA: MIT Press.

Sicart, Miguel. 2009. The Ethics of Computer Games. Cambridge, MA: MIT Press.

Image d’en-tête tirée de TeamLiquid.


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6 réponses à “Trois conceptions de la triche dans un jeu vidéo”

  1. Avatar de Luc Prévost

    Bonjour !

    Et la triche sous l’angle des drogues de performance ? 😉
    Un gros dossier…

  2. Avatar de Simon Dor

    Bonjour Luc! En effet, ce serait beaucoup à réfléchir! Les e-sports poussent à repenser bien des choses par rapport à notre conception de ce qui est acceptable en jeu vidéo. Et c’est une excellente chose!

  3. Avatar de Mister Bazar

    Bonjour,

    En effet, personnellement, je déteste la triche dans les jeux qui m’empêchent de m’immerger complétement dans le jeu que ce soit en solo ou en multijoueur. D’ailleurs c’est plus dans le multi que je ne le supporte car il y a ce rapport d’humain à humain que l’on n’a pas en solo.
    Heureusement que les développeurs essaient d’empêcher cela même si je pense que la triche à encore de belles années devant comme les crack et autres tours du genre.
    A bientôt.

  4. Avatar de Simon

    Oh oui, c’est sûr. Et comme il y a de plus en plus d’intégration de monnaie réelle dans les jeux, les répercussions de la triche se font plus grandes, bien qu’elle soit beaucoup plus surveillée qu’avant. Merci de votre commentaire!

  5. Avatar de Kezbin
    Kezbin

    Tricher dans un jeu solo, n’est pas un mal. Il y a dans certain cas comme GTA San Andreas ou tricher est un vrai plaisir, pouvoir casser et tuer tout ce qui bouge est une exaltation.
    Mais tricher dans un jeu online, je considère cela comme un crime qui devrais être puni ingame et dans la vraie vie. Avoir un avantage dans un jeu où les joueurs se côtoient pour gagner est un acte ignoble. En tant que joueur je prie un jour où l’on pourra éradiquer cet espèce.
    Le problème majeur, c’est que quand vous jouer contre une personne plus forte que vous, qui vous pulverise ou quand c’est un tricheur. Pour le cheater, il est facile de se dire que c’est juste un gosse de 12 ans qui cherche à être le meilleur sans effort pour finalement se faire bannir. Mais pour ce qui est du type chelou et qui vous pulverise, il est impossible de savoir si il triche ou pas. Se retrouver entre deux côtés de la barrière entre ; c’est un bon joueur ok il est meilleur que moi et Mais quel co***** de tricheur, ce doute est bien pire que se retrouver face un tricheur spotted, et on commence à spammer dans le chat tout les ignoblerie de notre vocabulaire sur ce mec bien plus fort que nous dans savoir si à la fin il est un furoncle du jeux en multijoueur ou un génie anonyme et sa c’est le pire !

  6. Avatar de Simon Dor

    Voilà bien pourquoi les compagnies de jeux vidéo n’hésitent pas à bannir à vie le compte des joueurs qui trichent. Et ayant accepté les conditions d’utilisation, je ne pense pas que ceux-ci ont un recours légal. Les jeux essaient aussi d’être les plus transparents possibles par rapport à la triche. Pensons aux replays, qui permettent de revoir les parties et, éventuellement, de pouvoir mieux comprendre si l’action de son adversaire est vraiment possible ou s’il y avait bel et bien de la triche. Les tournois de StarCraft: Brood War, par exemple, interdisaient des actions « permises » par les « allied mines » (changer l’alliance de son ennemi jusqu’à ce qu’il passe sur des mines, puis remettre ennemi pour les faire déclencher). Ça prend de la logistique mais ça peut se contrôler, de la triche!

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


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