La tendance à publier des articles sous d’autres formes que le traditionnel article de 8000 mots révisé par trois pairs, ce que la revue First Person Scholar appelle une « middle-ground publication ». est de plus en plus fréquente et touche souvent même les revues plus classiques. Espen Aarseth, rédacteur en chef de la revue Game Studies, prend souvent la parole dans de plus courts texte à saveur éditoriale sur la discipline, et je trouve cette tendance rafraîchissante dans un univers où la recherche se donne des airs de noblesse en conservant des formules schlérosées.
Son dernier texte de ce genre est une sorte de tutoriel pour les étudiant-e-s qui souhaitent entrer dans le domaine des game studies. Les conseils qu’il propose sont particulièrement intéressants. J’en note trois en particulier.
Focaliser sur des jeux particuliers
Les chercheurs ont très souvent tendance à vouloir parler de tous les jeux ou de genres spécifiques, ce qui me semble une erreur assez importante. Parler de Dr. Mario (Nintendo R&D1, 1990) n’est pas parler de Bioshock (2K Boston, 2007). Comme Aarseth le précise, parler des jeux en général ne donne pas ou peu d’indice sur ce qui intéresse le chercheur spécifiquement. Il y aura toujours quelque part un jeu qui pourra correspondre à l’idée générale développée par le chercheur et, sans précision de ce qui est réellement l’objet d’intérêt de celui-ci, il n’y a aucune manière de pouvoir entrer en dialogue. Sans élément clair et précis duquel on parle, un discours n’est pas scientifique parce qu’il n’est pas réfutable.
Faire son état de la question
Il peut être très difficile de faire un état de la question acceptable, mais c’est une étape essentielle. Avant de publier, il faut avoir fait le tour non pas uniquement d’un concept spécifique qui nous intéresse, mais aussi des concepts similaires. On voit très souvent des affirmations comme quoi « personne ne s’est intéressé à ça », mais dans les faits le travail de la recherche n’est pas que trouver du neuf, mais de relier ce qui s’est fait avec ce qui ne s’est pas encore fait. Il faut donc prendre le temps de clarifier ce qui existe déjà et de montrer qu’on a pris le temps de positionner son travail.
Être interculturel et être gentil
Son dernier point est probablement le plus important. Il y a de nombreuses disparités entre les moyens qu’ont les différentes institutions, entre les discriminations systémiques des différentes cultures, genres, minorités sexuelles, etc. Il note que même la langue est une question de privilège dans le monde universitaire:
Comment diminue-t-on l’imposante inégalité créée par un langage académique extrêmement dominant — l’anglais? Peut-on laisser cette question à nos collègues de langue maternelle anglaise? J’en doute sincèrement. Si vous n’êtes pas un chercheur de langue maternelle anglaise et vous trouvez marginalisé par votre maîtrise moins-que-parfaite de l’anglais, rappelez gentiment à vos collègues et amis de leur énorme privilège invisible, parce que plusieurs d’entre eux n’y ont jamais pensé alors qu’ils le devraient peut-être.
Bref, il y a un important travail à faire lorsqu’on débute dans une discipline et si je ne crois pas qu’on puisse avoir un tutoriel qui réponde à toutes les questions ni qui fonctionne dans toutes les circonstances, un effort comme celui d’Aarseth est certainement bienvenu pour les nouveaux et futurs chercheurs.
Référence
Aarseth, Espen. 2019. « How to play — Ten play-tips for the aspiring game-studies scholar ». Game Studies, vol. 19, no. 2. http://gamestudies.org/1902/articles/howtoplay.
Laisser un commentaire