L’engagement et l’expérience complète

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Être parent, c’est parfois aussi avoir froid l’hiver parce qu’on a donné notre cache-cou à notre enfant pour remplacer celui sur lequel il a vomi. Bref, on a annulé le cours de soccer de Thierry, 3 ans, pour une troisième semaine consécutive pour des raisons hors de notre contrôle.

C’était la dernière semaine du cours, et ce genre de situation me laisse toujours un peu ce sentiment que nous avons laissé derrière nous quelque chose d’incomplet — que pensera l’enseignant? Non, ce n’est pas que nous n’avons pas aimé ça, c’est un mauvais concours de circonstances. Mais j’ai toujours gardé ce sentiment semi-culpabilisant que je « devais » terminer ce que je commençais et quelque part qu’il y avait un « devoir » envers quelque chose comme un rendez-vous à chaque semaine. Comme si l’engagement pris était plus important, même si dans les faits cet engagement ne se fait qu’avec nous-mêmes.

J’ai l’impression que les cours dans les centres d’entraînement misent beaucoup là-dessus pour stimuler la motivation de leurs abonnés; pas tant la motivation finalement que le sentiment de culpabilité vis-à-vis de l’entraîneur et des autres participants à l’événement. Comme si on devait y être pour respecter son engagement.

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Il y a aussi ce genre de sentiment en jeu vidéo.

Chercher à explorer tous les recoins d’un espace de jeu, faire toutes les missions, aller jusqu’au 96 étoile dans Super Mario World, au 100% dans Donkey Kong Country. Avoir une sorte de sentiment de devoir faire l’expérience complète, de devoir essayer tous les niveaux, trouver toutes les pièces d’équipement. Parfois, on commence un jeu et on a envie de déposer la manette après quelques minutes, mais le sentiment de « laisser sa chance au jeu » prend le dessus.

Et autant on souhaite aller chercher tous les trophées ou accomplissements du jeu, autant on devrait plus souvent se donner le droit de ne pas faire l’expérience de quelque chose — qui plus est quand on a bien des raisons de ne pas pouvoir le faire (comme du vomi sur un manteau d’hiver).

Il faudra certainement un jour faire un équivalent aux « droits imprescriptibles du lecteur » de Daniel Pennac pour les jeux vidéo. Dans Comme un roman, Pennac énumère des droits que chaque lecteur a: ne pas lire, sauter des pages, mais aussi lire sans rendre de compte et sans avoir d’avis direct ou public sur sa lecture.

Aucune expérience ne devrait être sacrée, aucun jeu ne devrait être incontournable, aucun créateur ne devrait avoir l’immunité quant au jugement qu’on porte sur lui/elle. Et on a le droit de ne pas rendre notre expérience publique; celle-ci nous appartient et n’appartient qu’à nous.

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Il reste que j’aurais aimé pouvoir mieux clore l’expérience. Peut-être qu’on se réinscrira une autre session. C’est ce que je me dis pour me sentir mieux vis-à-vis de ce « devoir » qui reste ressenti.

Et mes jeux restent dans ma bibliothèque pour le jour où je voudrai y rejouer.


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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