Detroit: Become Human

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Je me suis surpris à avoir beaucoup aimé Detroit: Become Human (Quantic Dream, 2018). Comme les autres jeux de Quantic Dream et David Cage auxquels je n’avais jamais joué (Heavy Rain [2010] et Beyond: Two Souls [2013]), le jeu est très axé sur le récit et implique des décisions qui sont irréversibles, soit l’équivalent d’un « ironman mode » dans les jeux de Paradox. Il y a derrière les jeux de David Cage la prétention d’être du « cinéma interactif »; c’est certainement une bonne manière de qualifier son travail.

La résolution et l’exploration narrative

Detroit est basé principalement sur la modalité actionnelle de la résolution, avec quelques nuances. Nous avons le contrôle en alternance de trois personnages, tous des androïdes qui tendent à devenir des « déviants » en embrassant leur humanité. Les choix du joueur/se entraînent des changements dans le résultat narratif et sont comparés aux autres joueur/se/s qui y ont joué à travers le monde pour évaluer notre « performance » ou notre chemin à travers les mondes possibles.

On est dans la résolution au sens où aucun réel « apprentissage » ne peut se faire: chaque choix n’est fait que dans le contexte narratif, sans qu’une assimilation d’actions ne s’apprenne. Il n’y a non plus pas de « bonne » réponse théoriquement; chaque choix mène quelque part et on ne résout donc pas de défis, on explore des mondes possibles en espérant peut-être certains résultats. On a aussi des séquences d’exécution, souvent du combat fait en quick time events où il faut appuyer sur le bon bouton de la manette au bon moment pour éviter les coups.

L’humanité et l’expression

L’idée de ce qui fait l’humanité d’un humain est le thème central du jeu et les parallèles avec le racisme ne sont pas très subtils bien qu’ils soient assez efficaces. Le personnage de Marcus est un androïde « privilégié » qui fut traité presque comme un humain par son maître, un artiste qui lui apprend à avoir une vision esthétique et à apprécier la culture. Kara est servante chez un homme violent avec sa fille; l’enfant et elle s’évaderont pour chercher à quitter le pays. Connor est affilié à l’enquête qui cherche à comprendre les « déviants » et collabore donc avec les humains.

Il y a des séquences très expressives, à la Cronenberg, en particulier la séquence où Marcus se retrouve dans un dépotoir d’androïdes et dépèce d’autres robots pour se reconstruire à partir des pièces compatibles. Les pièces robotisées qui se déconnectent puis s’emboîtent pour que le personnage se reconstruise lui-même, le tout fait à partir de nos propres manipulations analogiques sur la manette, est particulièrement intéressant. Et la scène devient plus troublante voire évocatrice des camps de la mort nazis lorsqu’on se rappelle que les androïdes restent métaphoriquement des humains.

L’échec et la narration

On peut « perdre » si un personnage meurt au cours du jeu, mais chaque embranchement narratif peut faire partie de l’œuvre en elle-même. Je n’ai personnellement pas réussi à sauver tous mes personnages et ai été assez déçu de ma « fin », un peu comme une fin hollywoodienne mais suffisamment amer dû à mon échec à sauver tout le monde pour avoir le classique happy end. Il faut peut-être repenser nos habitudes narratives classiques pour bien clore une histoire interactive de ce genre peu importe les péripéties vécues.

Il y a la prétention à ce qu’il n’y ait pas de « retour en arrière » lors de la mort d’un personnage, ce qui est littéralement vrai lorsqu’on regarde seulement la diégèse. Par contre, nos personnages étant des androïdes, il y a quelques séquences où ils vont « simuler des scénarios futurs » pour voir si certaines acrobaties vont fonctionner; ces « scénarios simulés » ne sont au fond que les essais et erreurs qu’un jeu aurait fait habituellement. Il faudra trouver autre chose lorsque le thème ne s’y prêtera pas.

Comme les jeux de TellTale, où on nous indique à des moments clés certaines conséquences à nos actes (du genre « Ce personnage s’en souviendra… »), Detroit nous affiche assez clairement ce que nos choix ou nos actions entraînent sur le monde du jeu. Par exemple, le fait d’avoir tué un être humain lors d’une opération terroriste fait baisser l’opinion publique, ce qui est souligné à la fois par une flèche rouge vers le bas à la fin de la scène où l’événement se produit et par le relais de l’événement par les présentateurs de nouvelles.

Les embranchements cachent les différents choix possibles, mais nul besoin de jouer plus d’une fois pour comprendre les répercussions de nos actions sur le jeu (ou la plupart d’entre elles). Le plaisir de regarder une série télé ou un film (une seule fois pour la plupart) peut donc se concilier avec le plaisir de naviguer dans des embranchements narratifs sans impliquer de tout explorer.


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Une réponse à “Detroit: Become Human”

  1. […] Després, qui animait la discussion, a analysé plus spécifiquement Detroit: Become Human et la relation à la narration dans un jeu à embranchements comme celui-ci. Pierre Gabriel […]

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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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