La balado Profil ludique et l’analyse des walking simulators

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What Remains of Edith Finch

Je réalise que je n’ai toujours pas souligné ici le travail impeccable de mes collègues Hugo Montembeault et Maxime Deslongchamps-Gagnon dans leur balado Profil ludique, qui roule depuis au moins deux ans et demi. Plusieurs de leurs épisodes ont accompagné avec plaisir un aller-retour Montréal–Rouyn-Noranda l’été dernier qui m’a permis de me mettre à jour sur leurs réflexions.

Profil ludique se concentre sur un genre de jeu vidéo singulier, soit le walking simulator. On pourrait brièvement décrire les jeux entrant dans cette catégorie comme des jeux à la première personne où il n’y a ni tir, ni ennemis, ni objectifs; il y a surtout une exploration narrative d’un espace. C’est un peu comme un film où on incarne un personnage qui interagit peu voire pas du tout avec d’autres personnages et qui explore un lieu quasi-désert pour y découvrir ce qui a pu s’y produire.

Montembeault et Deslongchamps-Gagnon décortiquent le genre avec une précision chirurgicale et une passion contagieuse. Les épisodes font entre une heure trente et près de 3h. À chaque épisode, ils décortiquent un (ou parfois plusieurs) jeu(x) et en font ressortir les thématiques et les émotions particulières qui en découlent. Leur travail de balado s’est déjà transformé en publication universitaire dans un article intitulé  » The Walking Simulator’s Generic Experiences » (2019) dans un numéro spécial sur le walking simulator de la revue Press Start.

Quelques invités ont déjà fait leur passage à Profil ludique, soit Gabrielle Trépanier-Jobin, Pascale Thériault et Sébastien Genvo.

C’est certainement cette balado qui m’a fait découvrir le genre, que j’ai pu exploré notamment avec ABZÛ, Scanner Sombre et Gone Home, où une jeune femme retourne chez elle et explore la maison de son adolescence et les souvenirs doux-amers que celle-ci recèle. Bien que KONA ressemble davantage à un jeu d’aventure sur de nombreux points, il emprunte aussi à mon sens à l’esthétique du walking simulator.

J’ai particulièrement aimé mon expérience de What Remains of Edith Finch (Giant Sparrow, 2017) où le thème de la mort y est exploité d’une manière particulièrement frappante et parfois touchante. Le personnage d’Edith retourne dans sa maison d’enfance un peu comme dans Gone Home. On se rend compte progressivement que de nombreuses pièces de la maison sont barrées et qu’ils l’ont été après la mort de leurs occupants.

Walking simulators mostly imply death in a euphemistic and symbolic way, instead of showing it. For the Finch family, it seems death is too painful to confront. This is especially true for Edie, Edith’s great-grandmother, who prefers fatalism by constantly reminding others of the curse. Having transformed the residence into a museum of the dead, Edie preserved every bedroom as they were when the occupants died and sealed them so nobody (but the player-character) can disturb the deceased. Death lurks in every corner of the Finch’s home, with the spirit of the place haunting Edith as she wanders around (Montembeault et Deslongchamps-Gagnon 2019, p. 15).

Pour rendre le design de niveau plus labyrinthique et transformer l’espace en caractérisation de personnages, de nombreuses pièces sont annexées à la maison principale (dans le sous-sol, dans un arbre, etc.) pour devenir les chambres de membres de la famille Finch. Les histoires sordides de la mort des personnages sont racontées en analepses sans que nous puissions changer quoique ce soit au résultat funeste. Les emprunts à différents styles visuels (le comic book, le film de monstre avec vues subjectives, etc.) rendent plus expressives ces séquences.

Les animateurs n’écartent pas non plus l’importante dimension politique du walking simulator, qu’ils abordent dès le premier épisode lorsqu’on parle de la dénomination du genre lui-même. J’en lisais une mention justement dans l’introduction du livre Queerness in Play, où Todd Harper, Meghan Blythe Adams et Nicholas Taylor soulignent l’importance pour les « vrais gamers » d’être conservateurs par rapport à ce qu’est un jeu:

Nowhere is this more visible than in arguments about the « walking simulator, » an often-pejorative term leveled at first-person narrative games where the gameplay focus is on exploration and story rather than combat. The deployment of « walking simulator » is a specific, targeted rhetoric about a broader ontological stance: these are not « games. » They are something else, some other category, a category that—for some—does not merit the prestige that comes with being a « game. » (Harper, Blythe Adams et Taylor 2019, p. 5)

Voici le dernier épisode de Profil ludique en date d’aujourd’hui, qui porte sur la parodie:

Tous les épisodes incluant la saison 2 se retrouvent en ligne sur baladoquebec.

Références

Harper, Todd, Meghan Blythe Adams, et Nicholas Taylor. 2018. « Queer Game Studies: Young But Not New ». Dans Todd Harper, Meghan Blythe Adams, et Nicholas Taylor (dir.), Queerness in Play, pp. 1‑13. Basingstoke: Palgrave Macmillan.

Montembeault, Hugo, et Maxime Deslongchamps-Gagnon. 2019. « The Walking Simulator’s Generic Experiences ». Press Start 5 (2): 1‑28.


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Je suis professeur en études vidéoludiques à l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en création et nouveaux médias de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue au centre de Montréal.


En libre accès en format numérique ou disponible à l’achat en format papier.


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