Depuis les Fêtes, le jeu préféré de mes enfants est Pokémon: Let’s Go, Évoli! (Game Freak, 2018). Ça faisait un certain temps que je voulais commencer à jouer à Pokémon avec eux; on n’avait joué un peu à Pokémon Go à l’été de sa sortie qui correspondait au premier de mon plus jeune et un peu au Yellow sur émulateur dans la même période. À 4 et presque-8 ans, les deux sont vraiment fascinés par l’univers dont le duo Let’s Go (Eevee et Pikachu) est une excellente porte d’entrée.
Beaucoup de mémoire est sollicitée pour bien comprendre le jeu: il y a 151 pokémons, et chacun d’entre eux correspond à un ou plusieurs des seize types. Ces types les rendent mieux protégés ou plus faibles contre certains types d’attaques — chaque pokémon dans une équipe peut avoir jusqu’à quatre attaques différentes –, il faut donc bien les choisir pour défendre et attaquer et choisir ce qui contrera le type adverse.
Ça m’a fasciné de voir à quel point mon aîné peut vouloir planifier comme il faut ses attaques et se donner des objectifs de jeu:
L’équilibre des ressources
Je me suis questionné en jouant si l’équilibre des ressources peut en arriver à un certain cul-de-sac. Contrairement aux autres jeux de la série, il n’y a pas de combats aléatoires; seuls l’apparition de pokémons à attraper est aléatoire. Les combats sont planifiés d’avance avec des dresseurs qui sont placés souvent de manière immobile dans l’environnement. Et la seule manière d’avoir de l’argent, c’est en combattant. Je me disais donc qu’il pourrait finir par en manquer pour acheter des pokéballs, des items pour guérir, etc. Ce ne fut pas le cas même avec les décisions pas toujours hautement stratégiques de mes enfants.
Je me demandais aussi s’il manquerait de fruits pour amadouer les pokémons les plus réfractaires, surtout qu’on ne peut en acheter avec de l’argent. Mais on arrive rapidement à un endroit où ceux-ci sont en abondance.
Le paradigme de décryptage: une mise en scène de la prévision
Ce genre de jeu « fait croire » dans son univers diégétique que les personnages font des combats justes entre eux, où il faut prévoir les adversaires et prendre les décisions en conséquence — ce qui correspond à ce que j’ai nommé le paradigme de prévision. Dans les faits, on est constamment en mode décryptage: les adversaires n’ont à peu près jamais autant de pokémons que nous (souvent 4 pour les adversaires les plus coriaces) et ont souvent un type relativement facile à contrer (ex: la première adversaire des quatre finaux se spécialise en pokémons de glace).
J’ai eu aussi l’impression qu’améliorer ses pokémons à partir du début ne sert pas à grand-chose, on en trouve plus tard de plus haut niveau. On peut simplement transférer les pokémons qui ne nous intéressent plus pour obtenir des bonbons qui améliorent nos autres pokémons. Ça m’a semblé être très déphasé par rapport à ce qu’on pourrait appeler l’ethos de la série, où on est sensés développer une relation forte avec ses pokémons et ne jamais les abandonner. J’ai parlé plus spécifiquement de cet ethos par rapport aux univers de fiction dans un article sur les jeux vidéo adaptés de Tolkien.
L’économie externe: combien vaut Mew?
Le jeu a aussi été l’occasion de discuter d’enjeux économiques de l’industrie du jeu vidéo. Comme YouTube est un élément paratextuel très fort culturellement, le jeu ne peut se penser sans son apport: on ne joue plus isolément mais on est influencés par la culture qui s’y diffuse. Les enfants regardent beaucoup de Let’s plays et y ont bien sûr découvert des secrets, dont le fait que le pokémon fabuleux Mew pouvait être débloqué à l’achat d’une manette en forme de pokéball.
Ce fut l’occasion de leur parler du modèle d’affaires de pokémon, notamment le fait que chaque manette n’a qu’un seul Mew (qui ne peut donc être partagé sur plus d’un compte) et que la manette elle-même vaut presque l’achat d’un autre jeu au complet.
On a longuement hésité à leur acheter, mais on s’est rendus compte que le plaisir de jouer avec la manette avec un dispositif que Carl Therrien qualifierait de « techno-mimétique » (2017) était en soi un plaisir qui valait probablement l’achat plus que celui d’autres jeux. Je me dis (et c’est assez vrai) que ça aura été une valeur de rejouabilité importante étant donné le plaisir qu’ils ont dans ce jeu versus d’autres qu’ils aiment beaucoup.
Bonus: les questions de genre
Les questions de genre font partie des questions sur lesquelles on insiste beaucoup en famille, notamment parce qu’on se rend compte à quel point ils infiltrent les produits culturels pour enfants. Mon aîné note souvent que les séries télé sont très stéréotypées.
J’ai cru que Pokémon: Let’s Go Évoli! était progressiste lorsqu’on demandait au début non pas « quel est votre genre », mais de choisir une apparence parmi quatre aux cheveux courts et quatre aux cheveux longs. En créant un deuxième personnage « féminin » pour mon plus jeune, les enfants me disent qu’ils ont choisi une fille, et je leur fais remarquer qu’il peut être un garçon mais avec cette apparence. Ce à quoi ils me répondent que, oui, les garçons peuvent ressembler à ça, mais que leur personnage dans le jeu est féminin. Quelques temps plus tard, ils me le soulignent en montrant un dialogue avec le personnage qui l’appelle « elle ».
J’étais très déçu, mais en même temps content de voir que les enfants pouvaient en avoir un regard critique. Il semblerait, suivant Automn Wright, que Pokémon Sword & Shield (Game Freak, 2019) n’est pas mieux.
Références
Therrien, Carl. 2017. « From Video Games to Virtual Reality (and Back). Introducing HACS (Historical-Analytical Comparative System) for the Documentation of Experiential Configurations in Gaming History ». Dans Proceedings of DiGRA 2017. Vol. 14, 1. Melbourne, Australia. http://www.digra.org/wp-content/uploads/digital-library/57_DIGRA2017_FP_Therrien_HACS.pdf.
Wright, Automn. 2020. « The Gendered Mechanics of Pokémon Sword and Shield – First Person Scholar ». First Person Scholar, mars. http://www.firstpersonscholar.com/the-gendered-mechanics-of-pokemon-sword-and-shield/.
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