Je profite de ma lecture de l’essai de Shira Chess, Play Like A Feminist, pour réfléchir un peu sur ma position comme blogueur en études du jeu vidéo. Je croyais que l’essai de Chess serait une sorte d’étude sur les manières dont on peut jouer de manière féministe, mais il s’agit au fond d’une perspective beaucoup plus directe et terre à terre sur ce que le jeu vidéo représente en tant que féministe.
Chess se réapproprie l’expression « jouer comme une fille » pour la démonter et expliquer qu’elle pourrait devenir un véritable énoncé politique. On peut jouer comme un fille, comme une femme, comme une féministe tout simplement en jouant, en encourageant les initiatives des développeur/se/s qui mettent de l’avant d’autres récits, d’autres manières de jouer que ce qu’on retrouve dans la plupart des jeux AAA. Il y a même une vision un peu capitaliste derrière (2020, p. 87); utiliser son pouvoir d’achat, son pouvoir comme marché féminin pour influencer le résultat. Pas très loin du « acheter, c’est voter » de Laure Waridel pour ce que j’en connais.
La force du texte de Chess est qu’elle insuffle une vision féministe à la manière dont on pense l’accès aux jeux. Permettre à d’autres publics que les jeunes hommes hétérosexuels qui possèdent des consoles, qui savent où aller acheter des jeux et lesquels. Elle parle notamment de moyens de mettre en place des cercles de jeux, ce qui est à mon sens une excellente manière de partager des découvertes et de rendre plus accessibles des jeux qui le seraient moins, pour peu qu’on puisse réussir à prendre le temps de le faire. Et c’est au cœur de son livre: les femmes ont une charge mentale plus élevée qui rend difficile l’accès au « loisir » au quotidien, alors que le cliché de l’homme qui s’enferme dans sa man cave les soirs de semaine pour jouer reste très présent.
Je donne Éthique et jeu vidéo depuis maintenant cinq ans et le cours a toujours été l’occasion d’aborder des questions féministes. Mais je me rends compte de plus en plus que j’évite certains sujets sur ce blogue, en partie inconsciemment et en partie consciemment.
Il y a je pense certaines « bonnes » raisons. Ma lecture d’un article de Francis Dupuis-Déri sur le « disempowerment » m’a remis longuement en question (avec raison) et m’a fait voir avec un œil plus lucide les raisons pour lesquelles je me suis malhabilement approprié des luttes qui ne m’appartenaient pas. J’essaie depuis ce temps d’être plus à l’écoute et, plutôt que de prendre la parole, de créer davantage d’espaces de paroles pour d’autres.
Je pense par contre qu’il y a aussi de mauvaises raisons pour lesquelles je n’aborde pas certains sujets et je souhaite corriger le tir sur le long terme. Je crois que j’ai aussi le devoir de souligner davantage le travail intellectuel des chercheuses et des chercheuse/r/s racisé-e-s. J’ai constaté que je l’avais peu fait par le passé et j’essaierai de compenser ces manques dans les prochaines années.
Chess aborde aussi une initiative important qu’a mis en place Kishonna L. Gray. En constant que les gens ont tendance à oublier le travail invisible des femmes, elle a créé un hashtag, #citeherwork, pour rappeler la marginalisation des femmes dans le domaine et souligner l’importance de leurs publications. Je pense qu’il faut en effet un effort de reconstruction parfois difficile du récit de notre discipline pour mieux comprendre les dynamiques de pouvoir qui s’y glissent. Tout un effort de construction narrative s’est fait en études du jeu vidéo autour de la revue Game Studies dont le premier numéro se targue d’être « Computer Game Studies, Year One » (2001) qui ne donne pas ses crédits aux nombreuses recherches — dont de nombreuses publiées par des chercheuses — qui portaient déjà sur cet objet d’études avant.
Je vais donc essayer de faire l’effort de déconstruire le récit pour souligner d’autres versants qui ont tendance malheureusement à être marginalisés.
Références
Aarseth, Espen. 2001. « Computer Game Studies, Year One ». Game Studies, vol. 1, no. 1.
Chess, Shira. 2020. Play like a Feminist. Cambridge, MA: MIT Press.
Gray, Kishonna L. 2015. « #CiteHerWork: Marginalizing Women in Academic and Journalistic Writing ». KishonnaGray.com, 28 décembre.
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