J’avais déjà entendu le nom Valkyria Chronicles (Sega, 2008-2018) mais je n’en avais qu’une idée vague. Quand j’ai compris que c’était un jeu de rôle tactique avec une thématique fantasy dans un contexte évoquant la Seconde Guerre mondiale, je me suis dit qu’il fallait que je l’essaie. Le quatrième de la série semblait le plus facilement accessible.
Au final, j’ai la sensation que c’est vraiment quelque chose comme un jeu de rôle tactique, avec une petite dimension d’action et avec des spécificités tellement particulières que le lien avec un Final Fantasy Tactics (Square, 1997) ne se fait pas facilement.
Principes de base du jeu
Le jeu rappelle un jeu de tir, parce que les personnages ont surtout des fusils comme arme, mais le jeu est plutôt tactique. L’espace n’est pas construit en cases, c’est plutôt un environnement continu. Les personnages ont des points de déplacement et agissent chacun leur tour, avec un maximum de points d’action par tour pour l’ensemble de l’équipe.
À chaque tour, on a un certain nombre d’actions qu’on peut effectuer (plutôt que d’avoir une action par personnage). Chaque personnage peut tirer en utilisant une attaque par action, laquelle a un nombre de chances de réussir ou d’échouer selon la distance et la couverture de la cible.
Chaque personnage a une classe parmi six qui vient avec ses types d’armes et ses statistiques particulières incluant le déplacement. Par exemple, le shocktrooper va avoir une forte attaque à relativement courte portée, le lancier va avoir un avantage contre les tanks et le sniper aura une très grande portée mais peu de défense. Contrairement aux autres jeux de rôle, tous les personnages d’une même classe changent de niveau en même temps.
On a aussi un tank principal (et éventuellement deux autres véhicules). Les tanks peuvent se déplacer comme les autres unités mais ont une forte résistance aux attaques normales. Ils ont par contre un point faible: l’arrière du véhicule a un bloc d’énergie bleue nommée ragnite pour faire sortir la chaleur émise pour alimenter le tank. Un ou deux tirs de roquette d’un lancier fera exploser le tank.
Le jeu est divisé en scénarios très linéaires, faits l’un à la suite de l’autre entrecoupés de séquences de dialogues parfois très longs et avec une esthétique proche des visual novels. Quelques missions optionnelles viennent ponctuer le jeu et peuvent être faites au moment où on le souhaite, quitte à briser la continuité narrative.
Les combats ont deux échelles: la « carte » qui montre les personnages et l’espace en symboles et l’espace tridimensionnel dans lequel l’action est dans une sorte de « quasi-temps réel ». On se déplace jusqu’à ce que la jauge arrive à zéro et on doit la plupart du temps capturer des camps ennemis et protéger notre camp principal.
Décrypter les habitudes stratégiques… et les bogues
Par contre, les niveaux sont parfois très différents avec des objectifs spécifiques. L’ajout d’unités spéciales ou d’objectifs au milieu de la mission viennent brouiller les cartes et rendre la stratégie peu anticipable.
Dans un niveau, les lanciers sont essentiels et ils doivent se positionner sur un bâtiment pour viser des tanks spéciaux qui ont un point faible sur leur toit. On est loin d’un paradigme de prévision.
Quand on « active » un personnage, les adversaires peuvent avoir des attaques d’opportunité en fonction de la portée de leurs armes; passer à côté d’un shocktrooper implique qu’il nous attaquera tant qu’on demeure à portée. Une bonne part de la stratégie implique d’utiliser soi-même les attaques d’opportunité; on positionne ses soldats de sorte de couvrir l’espace où on anticipe que les adversaires vont se déplacer.
Il faut souvent faire du décryptage des limites de l’intelligence artificielle, qui tombe parfois facilement dans les pièges. Je suis passé très souvent près de perdre un combat; dans certains cas, j’aurais « dû » perdre car les adversaires étaient à portée de prendre ma base juste avant que j’atteigne les objectifs. Même le boss final peut entrer dans une boucle sans fin où il gaspille son tour pour revenir à son point de départ. Je n’aurais sans doute pas pu gagner sans « exploiter » cette faille.
La personnification
Le jeu a une forte dimension de personnification vis-à-vis du récit de la guerre. Chaque soldat a un nom, un visage et une voix distinctes. Le jeu est presque séparé à 50-50 entre les combats et les scènes de dialogue. Les principaux personnages font partie d’une escouade de volontaires de la nation neutre de Gallia venus prêtés main-forte à la Fédération contre l’Alliance impériale. Bien que l’histoire ne soit pas celle du théâtre européen de la Seconde Guerre mondiale, elle en emprunte les grandes lignes, jusqu’au nom du continent — Europa.
J’y ai joué au départ un peu comme à Fire Emblem, en ayant peur de perdre mes personnages. Par contre, la mort permanente de Valkyria Chronicles 4 est moins intense. Une fois qu’un personnage a ses points de vie à zéro, il est en état critique et peut être secouru par un autre membre de l’équipe ou par une action spéciale. Il ne sera mort de manière permanente que s’il ne peut être secouru avant trois tours, un peu comme Final Fantasy Tactics.
La critique du pouvoir
Un peu de divulgâcheurs en vue.
Il y a des éléments assez importants du jeu qui font qu’il aura certainement une place importante dans mon projet de recherche. D’une part, l’utilisation de l’énergie du ragnite pour faire fonctionner les appareils de guerre comme les tanks est très semblable à la peur du nucléaire. Rachael Hutchinson soutient que c’est une figure récurrente dans les jeux vidéo japonais (2018). Le gigantesque croiseur sur lequel nous finissons la partie est alimenté par cette énergie.
Le jeu rend la chose extrêmement concrète est que le croiseur est alimenté par des personnes humaines (les valkyries), toutes de genre féminin et la plupart utilisées dès leur plus jeune âge par l’armée. Certaines deviennent des soldates impliquées directement au combat, d’autres servent littéralement de carburant à des machines de guerre. La mission à laquelle on est malgré nous assignés en est une de désespoir qui consiste à faire exploser notre croiseur au centre de la capitale impériale pour terminer la guerre. Le personnage d’Angie, une orpheline amnésique, finit par entrer de son plein gré dans le moteur du croiseur pour s’assurer que la guerre puisse se terminer.
Bien que beaucoup d’éléments du récit sont inconnus de nos personnages, ils sont tout au long du jeu en remise en question de leurs objectifs et de ce qu’ils sont près à faire pour la guerre. Les séquences finales mériteront peut-être une analyse complète en bonne et due forme tant le paradoxe de la guerre pour la paix y est central. Il y aura définitivement beaucoup à écrire encore sur ce jeu.
Référence
Hutchinson, Rachael. 2018. « Nuclear Discourse in Final Fantasy VII: Embodied Experience and Social Critique ». Dans Alisa Freedman & Toby Slade (dir.), Introducing Japanese Popular Culture, pp. 71‑80. London/New York: Routledge.
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