J’ai des prises de bec sur les réseaux sociaux une fois de temps en temps lorsque des gens me disent que les sciences humaines ne sont pas des sciences. Ça me travaille toujours. Il y a très souvent une grande confusion entre autres parce que beaucoup de scientifiques du côté des sciences humaines sont aussi militant-e-s.
Ma lecture de deux livres écrits respectivement par Michel Foucault (1969) et Paul Veyne (1996) ont tout deux été des moments charnières de mon doctorat. J’ai donc avec plaisir lu le livre Foucault, sa pensée, sa personne de Paul Veyne durant ma rédaction. J’ai été étonné et fasciné par l’approche de Foucault vis-à-vis du militantisme que Veyne souligne.
En gros, il précise que le travail d’un intellectuel est de mettre en évidence les stratégies et les relations de pouvoir, sans nécessairement souligner ce qui devrait être, ce qui relève davantage des enjeux « esthétiques » (ou, on devrait certainement ajouter, « éthiques »):
Je ne vous dirai pas: voici le combat que nous devons mener, car je ne vois pas sur quel fondement je pourrais le dire, sauf peut-être sur critère esthétique (c’est-à-dire sans raison, sans autre justification possible que le bon plaisir, dont on ne discute pas plus que des goûts et des couleurs). En revanche, je vais vous décrire un certain discours actuel du pouvoir, comme si je déployais devant vous une carte stratégique. Si vous voulez vous battre, et selon le combat que vous choisirez, vous y verrez où sont les points de résistance, où sont les passages possibles (Foucault 2004, p. 5, cité dans Veyne 2008, p. 200).
La relation entre militantisme et sciences est pour moi particulièrement importante, surtout à une époque comme la nôtre où on essaie de remettre en question le savoir scientifique sur des faits de base.
Sciences humaines critiques ou aseptiques
J’ai découvert par le biais de l’entrevue avec les auteurs d’Université, inc. (Lux, 2011) Éric Martin et Maxime Ouellet aux Publications universitaires un texte de Marcel Rioux de 1969 intitulé « Remarques sur la sociologie critique et la sociologie aseptique« . Je l’avoue, ça m’a permis de me réconcilier avec une certaine tendance des sciences humaines qui prône un regard critique sur leur objet d’études, tout en ayant une préférence personnelle lorsque j’écris qui se situe probablement davantage du côté de l’aseptique (au-delà de sa connotation péjorative) que de celle critique.
C’est qu’appliquée aux études cinématographiques ou vidéoludiques, l’idée d’une recherche qui prenne position par rapport à son objet d’études est parfois problématique. La sociologie s’intéresse à la société et les études vidéoludiques, aux jeux vidéo — les enjeux par rapport à l’objet ne sont définitivement pas les mêmes.
Mais il y a différents points dans l’article de Rioux qui m’ont plus particulièrement interpelés. Il note deux éléments importants d’emblée:
- Pour toute science, « l’objet des recherches change au fur et à mesure que la recherche progresse ».
- L’observateur, dans les sciences humaines, est à la fois le sujet et l’objet de la recherche.
Je parlais d’objectivité en sciences dans une vidéo TikTok récemment pour souligner que, en médecine par exemple, il ne viendrait à personne l’idée de critiquer que l’objectif soit la survie des humains et non pas la seule étude « objective » du corps humain. Pourquoi la sociologie ne pourrait pas mettre en évidence ce qui peut faire survivre le corps social?
Références
Foucault, Michel. 1969. L’archéologie du savoir. Paris: Gallimard.
Foucault, Michel. 2004. Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France 1977-1978, Hautes Études-Gallimard-Seuil.
Martin, Eric, et Maxime Ouellet. 2011. Université inc: des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir. Montréal: Lux Éditeur.
Rioux, Marcel. (1969) 2011. « Remarques sur la sociologie critique et la sociologie aseptique ». SociologieS. https://doi.org/10.4000/sociologies.3500
Veyne, Paul. 1996. Comment on écrit l’histoire : texte intégral. Paris: Seuil.
Veyne, Paul. 2008. Foucault, sa pensée, sa personne. Paris: Albin Michel.
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