L’enseignement universitaire a ceci de particulier qu’il est à la fois le « début » de l’apprentissage d’une discipline — on doit familiariser les étudiant-e-s aux bases du domaine — et la « fine pointe » de la science — les recherches qu’on y mène sont originales et novatrices. Il y a une sorte de conciliation étrange. Je souhaite pousser le plus possible mon enseignement, mais je ne dois jamais oublier qu’il faut enseigner la base avant d’aller vers des idées plus pointues.
Marc-André Éthier et David Lefrançois notent bien la difficulté qu’il y a à constituer une discipline d’enseignement par opposition à une discipline scientifique. Ils prennent le cas des sciences sociales au niveau secondaire, où on cherche à travers les sciences sociales à enseigner la « pensée critique » en laissant place aux questionnements émergents des apprenant-e-s, au détriment de l’enseignement de savoirs déjà constitués. Autrement dit, on a tendance — qu’ils jugent dans les faits positive — à valoriser le questionnement faux par opposition aux faits, si ce questionnement permet l’apprentissage du raisonnement et de la pensée critique.
En outre, si un appui de l’histoire scolaire sur les produits de l’historiographie devait garantir une sorte de rapport à (de) la vérité, la prise en compte des débats – qui sont un processus constitutif de l’histoire académique – rend totalement illusoire une relation simple et descendante de l’histoire académique à l’histoire scolaire, en raison notamment de la diversité des interprétations dans les deux histoires. Il ne s’agit donc pas de tenter de transposer directement « la science » dans l’école, mais de construire une discipline scolaire répondant à un besoin social en utilisant ce qui sert ses objectifs, c’est-à-dire apprendre à problématiser et à débattre rationnellement, avec le risque que cela comporte: les élèves pourraient en venir à des conclusions différentes des nôtres. C’est à ce prix que les sciences sociales peuvent satisfaire en toute intégrité intellectuelle une demande sociale souvent exprimée: préparer des citoyens capables de participation sociale disciplinée, organisée et éclairée par la raison et la science (Éthier et Lefrançois 2016, p. 116).
Je trouve fascinant cette idée que parce qu’on priorise la formation, on doive laisser tomber la recherche seule de la vérité. Ça me travaille beaucoup puisque, dans mon domaine, beaucoup de ce qu’on enseigne pourrait ressembler à du « savoir-faire » plutôt qu’à du « savoir » même, au sens où beaucoup dépend de logiciels particuliers et de pratiques liées à une industrie. Je vais par exemple enseigner à travers Unity et en utilisant la méthode agile, indépendamment du fait que ce soit la « bonne » méthode ou le « bon » logiciel en termes de savoir — ce qui ne veut, justement, pas dire grand-chose –, parce que ce sont les outils qui seront les plus probablement utilisés par le milieu professionnel dans lequel mes étudiant-e-s souhaitent s’intégrer.
Le savoir est une chose, mais il n’est au fond jamais « neutre » ou construit pour ses propres fins.
Référence
Éthier, M.-A., & Lefrançois, D. (2016). L’éducation à la citoyenneté doit s’incarner dans une discipline. Dans Y. Lenoir, J. Lebrun, & A. Hasni (dir.), Les disciplines scolaires et la vie hors de l’école : Le cas des « éducations à » au Québec (p. 93‑118).
Capture d’écran tirée de Symphony of War: The Nephilim Saga.
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