Marie-Laure Ryan distingue l’interaction interne de l’interaction externe (2006, p. 108). Le joueur peut avoir une interaction interne avec le monde du jeu, par le biais d’un personnage-joueur (ou parfois avatar), c’est-à-dire un personnage présent dans le monde diégétique qui n’y a qu’une seule position et qui ne peut y interagir qu’avec son environnement immédiat. On va parfois percevoir le monde à travers un personnage-joueur de manière extérieure, à la troisième personne — comme c’est le cas dans le jeu Uncharted 4: A Thief’s End (Naughty Dog, 2016) — ou que l’écran soit vu à la première personne sous la perspective de cet avatar — comme dans le cas de Duke Nukem 3D (George Broussard, 1996). Le joueur peut plutôt avoir une interaction externe lorsqu’il a accès à différentes parties du monde du jeu, qu’il peut agir en différents endroits. On l’appelle en interaction externe dès lors qu’il peut contrôler plusieurs unités à la fois, même si certaines parties du monde lui restent inaccessibles temporairement.
Dans le modèle de l’interaction externe, certaines informations doivent passer par le joueur pour être utiles au(x) personnage(s). Ainsi, dans un scénario de Warcraft III, deux groupes d’unités doivent désactiver des défenses magiques chacun de leur côté pour aider l’autre côté, sans qu’ils ne puissent toutefois théoriquement communiquer entre eux dans leur univers. Même dans les jeux avec un avatar, il peut y avoir des ambiguïtés quant à l’influence du personnage dans son monde. Certains jeux, comme Super Mario 64 (Shigeru Miyamoto, Yoshiaki Koizumi et Takashi Tezuka, 1996), permettent au joueur de contrôler la caméra de manière indépendante du personnage.
Dans un jeu comme Super Mario World (Takashi Tezuka, 1990), un jeu de plate-forme avec une vue de côté, nous avons accès à certaines informations qui ne pourraient être accessibles au personnage, mais qui restent importantes pour la suite du jeu (par exemple, une clé cachée derrière un mur). Nous avons pourtant bel et bien un avatar, mais la perception de ces informations par le joueur semble près de l’idée d’omniprésence. Ces exemples semblent démontrer que les deux modèles ne se contredisent pas. Une interaction peut être via un avatar — si un personnage interagit avec son environnement immédiat — tout en ayant une certaine omniprésence — lorsque le joueur a accès à différents endroits. Un modèle concerne le joueur et l’autre, le personnage.
Deux exemples « opposés »: StarCraft et Warcraft III
Comme StarCraft et Warcraft III nous permettent de contrôler plusieurs unités à la fois, et que nous ne voyons jamais un personnage qui nous représente, on pourrait dire qu’il s’agit de jeux qui suivent le modèle d’interaction de l’omniprésence. Mais dans StarCraft, nous représentons un personnage de l’histoire. Ainsi, lorsque nous jouons un Terran, nous sommes un commandant. Lorsque nous contrôlons les Zergs, nous sommes un Cerebrate, un des cerveaux qui peuvent contrôler les autres individus. Lorsque nous choisissons les Protoss, nous incarnons un Executor, soit un fonctionnaire dont le rôle est de s’assurer que les ordres dictés soient bien effectuées par les troupes. Notre personnage est-il notre avatar? Sommes-nous plutôt omniprésents? Il semble que nous ayons un avatar dont le rôle diégétique implique une certaine « omniprésence ». Comme le regard du joueur est sollicité dans le rôle de son personnage, où des écrans sont mis à notre disposition et où des personnages nous regardent, on peut se demander si ce regard est un regard diégétique.
André Gaudreault et François Jost proposent le concept d’ocularisation pour désigner l’attribution ou non de l’image à la vision d’un personnage (1990, p. 130). Ils se demandent ce qui permet au spectateur de considérer ce qu’il voit comme le regard d’un personnage. Pour eux, il existe plusieurs types d’ocularisation, qu’on peut concevoir en deux dichotomies. Le regard est-il intradiégétique (ocularisation interne) ou non (ocularisation zéro)? S’il est interne, le voyons-nous par des éléments formels (primaire) ou par le contexte (secondaire)?
Comme nous l’avons expliqué plus tôt, les éléments formels des deux jeux se ressemblent. Dans StarCraft, les personnages s’adressent à nous. On met en contexte l’interface, interprétée comme un poste de commande. Hormis les éléments extradiégétiques (ex : les personnages stéréotypes, la minimap qui connaît d’avance la taille du jeu, etc.), tout semble correspondre au regard d’un commandant, dont l’interface serait semblable à celle représentée et à celle de son espace physique. On pourrait dire que le champ de l’image dans StarCraft est une ocularisation interne secondaire. L’espace de commandement étant inexistant dans le monde de Warcraft III, on y a plutôt affaire à une ocularisation zéro. Les éléments de l’interface ne sont aucunement en lien avec un personnage de l’histoire.
Le rôle du joueur a donc de la difficulté à être compris comme celui d’un personnage de l’histoire dans Warcraft III. StarCraft semble proposer une manière d’intégrer à l’histoire son interface, celle représentée comme celle physique. Si l’interface représentée est celle d’un poste de commandement, l’espace physique du joueur, devant un ordinateur avec un clavier et une souris, peut correspondre à l’espace physique d’un commandant.
Références
Gaudreault, André, et François Jost. 1990. Le récit cinématographique. Paris: Nathan.
Ryan, Marie-Laure. 2006. Avatars of story. Minneapolis: University of Minnesota Press.
Laisser un commentaire