L’appropriation culturelle, l’esthétisation du monde et le sens originel

C’était récemment la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et l’Halloween approche, c’est peut-être le temps de rappeler que les enjeux d’appropriation culturelle sont de véritables enjeux.


Je parlais récemment du sens que peut avoir un personnage historique dans un jeu vidéo comme Civilization. Mais c’est un phénomène plus large qui dépasse le jeu et qui existe dans différents contextes artistiques.

Gilles Lipovetsky et Jean Serroy expliquent dans L’esthétisation du monde l’idée que différentes institutions artistiques et culturelles notamment créent une perspective sur les choses qu’elles n’avaient pas nécessairement à l’origine. Les jeux vidéo ne sont bien sûr pas leur objet d’études; ils sont davantage intéressés par la manière dont le musée modifie la perspective sur les objets exposés. Ils écrivent:

[Le musée] transforme des objets pratiques et cultuels en objets esthétiques devant être admirés, contemplés pour eux-mêmes, pour leur beauté défiant le temps (p. 21).

Pensons à la manière dont les musées archéologiques exposent des objets de culte antiques: une statue qui n’a pas vocation à être belle se fait juger indirectement sur des critères esthétiques loin d’être liés à leur utilité. La statue qui a pour objectif d’être vénérée ou de rendre hommage à une divinité devient une statue qui prend un sens esthétique.

C’est analogue à la manière dont un costume traditionnel devient un costume d’Halloween ou dont les éléments culturels sont représentés en jeu vidéo.

Un thème, un lieu ou un événement représenté en jeu en vient à perdre son sens originel et à ne devenir qu’un bibelot, qu’un accessoire ou qu’un objet à contempler. La Seconde Guerre mondiale ou les guerres napoléoniennes deviennent l’espace stratégique d’un jeu de guerre dans lequel on prend plaisir plutôt que d’être liées à leur importance sociale dans l’histoire du monde. Shiva ou Odin deviennent des créatures magiques récurrentes plutôt que d’être associées à leur divinité d’origine.

Shiva dans Final Fantasy VII Remake (SquareEnix, 2020)

Qu’est-ce qui pose problème à « reprendre » un élément culturel ou une connotation pour l’utiliser en jeu? Le problème, c’est que les connotations ou les éléments culturels réutilisés ont un sens pour le jeu qui peut occulter le sens réel, en particulier s’il s’agit de notre seul référent ou si on côtoie davantage le sens réapproprié. Autrement dit, le sens original se perd ou s’oublie derrière le nouveau sens approprié, souvent, par une culture dominante.

Au final, si l’histoire était importante et qu’on n’oubliait pas les atrocités commises par l’extrême-droite ou la déshumanisation de l’esclavage, par exemple, on pourrait sans doute ne pas s’inquiéter que le sens originel coexiste avec le nouveau. Mais comme le jeu a parfois tendance à rester un jeu, comme l’esthétique a tendance à être perçue comme séparée des enjeux réels, l’éclipse d’un sens pour un autre dans l’imaginaire collectif est tout à fait probable et potentiellement tragique.

Référence

Lipovetsky, Gilles et Jean Serroy. 2013. L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Paris: Gallimard.

Images tirées de Wikipedia et ActuGaming,

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