J’utilise beaucoup en design économique les concepts de transitivité et intransitivité. C’est une manière extrêmement utile pour mieux comprendre comment évaluer la valeur d’un choix ou d’une stratégie dans un jeu. Ces qualificatifs concernent d’abord et avant tout une relation entre deux entités ou deux valeurs. La distinction entre les deux est utilisée dans de nombreux livres de design de jeux, dont celui de Dave Morris and Leo Hartas sur les jeux de stratégie (2004, 25).
La transitivité des mécaniques
Une action a une relation dite transitive avec une autre lorsque cette action a une plus grande valeur que l’autre peu importe les circonstances. Pensons, dans notre monde réel, à la valeur de l’argent: avoir 200$ est, normalement, toujours plus avantageux qu’avoir 50$. Plus d’argent « vaut » toujours plus que moins d’argent (toutes autres choses étant égales par ailleurs) parce que l’important est leur valeur d’échange.
Dans un jeu de cartes classique comme la bataille, une carte est toujours plus forte qu’une autre: alors, les cartes ont entre elles une relation transitive.
C’est un peu la même idée dans un jeu où, disons, on a le choix entre deux épées. Une épée avec un score de 50 est toujours plus forte qu’une épée d’un score de 25, toutes choses étant égales par ailleurs — c’est-à-dire, à moins qu’elle ait des bonus particuliers. Il n’y aurait aucune raison de choisir une épée moins forte si les deux étaient aussi facilement disponibles.
L’intransitivité des mécaniques
À l’inverse, une relation est dite intransitive lorsque sa valeur change en fonction des circonstances. Dans un système de relations intransitives, une action, un objet ou même une stratégie au complet change de valeur selon le contexte.
Le cas classique est le roche-papier-ciseaux (ou pierre-ciseaux-papier pour certains). Le choix d’une des trois options dépend toujours des circonstances, c’est-à-dire ici, du choix que son adversaire va faire. La roche « vaut » plus cher si un adversaire joue les ciseaux (parce qu’elle donne la victoire).
Évidemment, lorsqu’on a aucun indice pour savoir le choix de l’adversaire, il n’y a pas vraiment moyen d’en connaître la valeur. Mais différentes situations dans les jeux vont permettre de changer la valeur des options qu’on prend ou des items. On peut penser aux types dans la série Pokémon: le feu, par exemple, aura un avantage contre le type plante. La valeur d’un Pokémon ou d’une attaque va donc changer selon les adversaires.
Tout jeu qui implique des types d’attaque, des types d’armure, des éléments, etc., va savoir de l’intransitivité. Tout « qualificatif » qui contextualise la valeur d’un objet implique une relation intransitive en cet objet et les autres. Une attaque de 10 de type feu qui devient 15 contre la glace, par exemple, est une attaque dont la valeur est intransitive dans le jeu.
Une valeur d’usage implique presque toujours une certaine intransitivité. Imaginons que je doive faire des bagages pour un voyage et que je manque de place. Faire de la place pour mon imperméable vaudra la peine s’il pleut. Je pourrais l’apporter et constater en fin de compte que je l’aurai apporté pour rien s’il ne pleut pas. C’est son usage qui détermine sa valeur, contrairement à un système transitif qui conserve les mêmes valeurs.
Référence
Morris, Dave, and Leo Hartas. 2004. Strategy Games. Cambridge: Ilex Press.
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