Comme plusieurs d’entre nous, j’ai eu bien du plaisir à faire ma rétrospective Steam et à voir à quels jeux j’avais le plus joué en 2024! Je joue à beaucoup de jeux mais souvent pas très longtemps: j’adore explorer et comprendre un éventail d’expériences, mais j’aurais de la difficulté à tout terminer et je suis à l’aise avec ça.
Je sais que j’ai une tendance importante à vouloir archiver le plus possible de mes expériences de jeux; avant, j’enregistrais tout en vidéo et en conservait plusieurs sur ma chaîne YouTube. J’ai un peu diminué cette obsession, sachant que l’enregistrement restait une archive incomplète et parfois loin d’aider à comprendre un jeu, tout en donnant un stress supplémentaire, surtout lorsque je joue à des jeux qui ne sont pas sur PC.
Omniprésence de la quantification
C. Thi Nguyen propose l’idée que cette omniprésence de la quantification en vienne à être une ludification non-intentionnelle (2020, p. 189). On en vient à vouloir « gagner » en regardant le temps qu’on met dans chaque jeu, le nombre d’accomplissements, le nombre de jeux joués, etc. Ce qui est quantifié devient un peu plus concret, un peu comme le milieu universitaire utilise différentes métriques pour quantifier le travail et son succès (le nombre de citations par exemple). Le jeu auquel on joue peut être de jouer « beaucoup », de terminer ses jeux, d’avoir tous les accomplissements, etc.
Le danger de cette quantification, selon Nguyen, est qu’elle en vient à ce qu’il nomme le fantasme des valeurs (p. 194). Son idée est que, parce que la quantification rend les choses plus « claires » ou évidentes — on pourrait dire, une chose a une valeur transitive vis-à-vis d’une autre —, elle tend à nous faire percevoir la valeur d’une chose comme étant tout aussi claire, alors qu’elle ne l’est pas nécessairement.
Avoir 1000$ semble toujours mieux que d’avoir 100$, peser 20 livres de moins semble toujours garant d’une meilleure santé, faire 1000 pas de plus par jour semble toujours une bonne chose. Dans bien des cas, on pourra argumenter que c’est le cas. Mais le fait qu’il y ait une quantification nous fait oublier que l’argent est plus complexe qu’une relation linéaire (on peut avoir moins immédiatement pour avoir un retour sur investissement plus tard) et qu’il n’est pas toujours lié au bonheur, que la santé et le poids sont deux choses très différentes et que la marche a ses limites. La valeur qu’on accorde aux choses n’est pas quantifiable de manière absolue, encore moins sur une seule échelle.
Omniprésence des plateformes
Cette valeur est entre autres créée par l’omniprésence des plateformes. Comme nos téléphones cellulaires sont constamment sur nous et reliés à une plateforme, celle-ci peut compter nos pas quotidiennement. Comme on joue sur des plateformes qui centralisent nos jeux (Steam, PlayStation, etc.), on a tendance à limiter notre horizon de ce qui est un jeu ou du plaisir qu’on a en général à des activités ludiques. On pourrait, par exemple, acheter nos jeux sur une même plateforme pour y centraliser nos activités — par simplicité, bien sûr —, mais on contribue à bonifier le capital culturel de la plateforme elle-même. Si un jeu sort sur GOG, Epic Games ou Steam, je peux choisir laquelle de ces plateformes me convient mieux, mais mon calcul total de jeu sur Steam oubliera le temps où je joue sur une autre.
Je vais revenir sur cette question, notamment parce qu’elle est de plus en plus importante, mais le capitalisme semble maintenant entré dans l’ère des plateformes, où Microsoft, Amazon, Netflix, Apple ou Google semblent intéressés à nous donner beaucoup de choses « gratuites » pour qu’on intègre leur plateforme en ayant le moins d’interactions avec l’extérieur. La valeur monétaire de rester captifs d’une plateforme vaut bien quelques jeux ou quelques livraisons gratuites, jusqu’à ce que la concurrence ne puisse plus concurrencer.
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