Un des éléments les plus importants mais parfois incompris d’un système économique, c’est ce qu’on appelle l’effet marginal. Deux variables peuvent avoir une relation transitive ou intransitive, il reste que chaque chiffre au sein d’une même variable n’a pas nécessairement une valeur linéaire. C’est l’effet marginal qui nous permet de l’illustrer.
Vili Lehdonvirta et Edward Castronova expliquent bien son rôle dans une analyse économique:
En analyse économique, la marge a un sens technique précis: c’est un ajout, une addition, un extra. Si une personne prend 100 actions et que chacune de ses actions a un effet, l’effet de chaque action prise est l’effet marginal de cette action (Lehdonvirta & Castronova 2014, p. 25).
On parle de la marge d’une vente qui revient au producteur ou de la marge de profit d’un livre qui revient à son auteur (très peu). La marge, c’est l’effet pragmatique final d’un investissement, d’une transaction ou d’un déplacement de ressources.
Exemple 1: la vente de produits
Si je commande une centaine de copies de mon livre à mon éditeur dans le but de les revendre, disons à 30$ chaque (pour un total de 3000$), et que je les vends 40$ chaque, l’effet marginal de ma première vente restera négatif (40 – 3000 = -2960$), alors que mon effet marginal sera positif à partir de ma 76e vente (75 ventes seront nécessaires pour dépasser mon investissement initial de 3000$).
À l’inverse, quand vous l’achetez dans une librairie, je reçois immédiatement une redevance de 5% du prix de vente. Mon effet marginal de chaque vente est fixe. La relation numérique entre le revenu de ventes de livres (x) et l’effet marginal en revenus (y) est linéaire: y = 0,05x.
Exemple 2: le coût d’un nouvel emploi
Alors qu’on pourrait imaginer qu’un meilleur salaire est toujours une meilleure idée, l’effet marginal implique aussi tous les coûts indirects ou cachés qu’implique un emploi spécifique. Si j’obtiens un nouvel emploi mieux payé, mais qui nécessite un long déplacement en voiture, l’effet marginal est ce qu’il reste après les coûts additionnels encourus (voiture, entretien, énergie, etc.). Si mon emploi nécessite de la formation continue, des cotisations à un ordre professionnel ou même des cotisations à un syndicat, ce doit être tenu comme des coûts qui modifient l’effet marginal — et peuvent même l’améliorer, comme dans le cas d’un syndicat.
Exemple 3: les impôts progressifs
Le troisième exemple concerne la valeur d’un dollar dans l’économie réelle. Les personnes riches ont tendance à critiquer les impôts en disant que chaque dollar qu’ils travaillent est imposé davantage qu’un personne qui gagne moins. C’est tout à fait vrai: c’est ce qu’on appelle l’impôt progressif. Plus on a gagné d’argent dans une année, plus chaque dollar additionnel gagné sera sur un pallier d’imposition plus élevé — l’impôt sur chaque dollar représentera une plus grande proportion.
Dans les faits, c’est que les premiers dollars qu’on gagne valent beaucoup plus que les derniers; la valeur d’un dollar n’est pas linéaire, elle a un effet marginal. On a tous des besoins de base qui coûtent un certain prix et qu’on doit payer: loyer, nourriture, etc. Même si on peut vivre dans un lieu plus cher ou choisir des produits en spécial, il reste que se loger, se nourrir, se chauffer, etc. a un certain prix qu’il est impossible d’éviter. On peut plus beaucoup facilement couper ses luxes que ses besoins de base.
La valeur des besoins de base est donc plus élevée pour tout le monde: on va d’abord répondre à nos besoins fondamentaux avant de répondre aux besoins plus complexes, comme une pyramide de Maslow. C’est ce qui explique que dans la plupart des jeux de survie dans un contexte post-apocalyptique comme Against the Storm (Eremite Games, 2023) ou Timberborn (Mechanistry, 2021), la nourriture a un valeur importante alors que l’or y est souvent absent.


Quel effet en jeu vidéo?
À quoi sert de réfléchir à cet effet marginal dans le cadre d’une économie de jeu vidéo?
C’est qu’on a tendance à chiffrer les différents objets ou habiletés sans tenir compte de leur effet marginal. Si, par exemple, un jeu vidéo a de nombreux ennemis qui ont 10 points de vie, une épée +9 a le même effet marginal qu’une épée +5: chacune va éliminer l’ennemi en deux coups.

On a tendance pourtant à créer une amélioration progressive sans tout à fait tenir compte de cet effet marginal. Imaginons un jeu où le score d’attaque change de +2 à chaque niveau, comme dans le graphique ci-bas:

La relation numérique entre l’attaque et les niveaux est linéaire: l’attaque (y) est toujours égale à 2 fois le niveau (x).
y = 2x
Par contre, si on compte le nombre de coups par lequel on élimine un ennemi qui aurait 10 points de vie, l’histoire est différente, comme l’illustre ce graphique:

Au niveau 1, on devrait frapper l’ennemi cinq fois pour l’éliminer; au niveau 2, on descend à trois fois. Passer du niveau 3 à 4 ne changerait rien: dans les deux cas, on aurait besoin de deux coups. Ce n’est qu’au niveau 5 qu’on pourra l’éliminer en un coup.
On voit bien ici que l’effet marginal en jeu vidéo est ce qu’une action ou qu’un changement d’une ressource a comme répercussions réelles sur le jeu. Créer une économie de jeu impliquera de s’assurer que ce sont les effets marginaux des différentes actions qu’on propose dont nous tiendrons compte plutôt que les chiffres absolus associés à ces actions. Autrement, on risque de créer de la confusion sur ce qu’on souhaite voir comme étant les éléments signifiants de l’expérience de notre jeu.
Référence
Lehdonvirta, Vili, and Edward Castronova. 2014. Virtual Economies: Design and Analysis. Cambridge, MA/London, UK: MIT Press.
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