Les jeux vidéo impliquent souvent des mathématiques, en particulier lorsqu’on cherche à créer des systèmes ou une économie de jeu. Ces mathématiques nous permettent de réfléchir aux relations entre différentes variables dans les jeux. Pensons à une relation simple pour l’illustrer: un marché vend des pommes et chacun d’entre elles coûte une pièce d’or. Une relation mathématique peut se penser entre elles: un nombre de pommes (x) correspond à un nombre de pièces d’or (y). Ces relations peuvent s’illustrer à travers un graphique. Sur l’axe des x, on a le nombre de pommes; sur l’axe des y, le nombre de pièces d’or.
Courbe d’identité
L’exemple cité précédemment est un exemple de ce que Brenda Romero et Schreiber (2022, p. 68-69) appellent une courbe d’identité: c’est lorsque chaque quantité d’une ressource correspond à la même quantité d’une autre ressource en tout temps. Une pomme équivaut à une pièce d’or, 50 pommes valent 50 pièces d’or. La relation est « identitaire » parce que x est toujours égal à y.

La relation d’identité existe parce que changer une ressource de x équivaut exactement à changer une autre ressource de x. Il y a une relation 1:1 entre les deux: dans le système économique d’ensemble, elles ont toujours la même valeur.
L’exemple que Schreiber donnait dans un billet de blogue sur le sujet (2010) était celui d’Ultima III: Exodus (Richard Garriott, 1983), où un point de nourriture coûte toujours une pièce d’or. Ainsi, on peut planifier sa gestion de la nourriture en comptant ses pièces d’or directement.

Elle devient utile lorsqu’on pense par exemple à un inventaire de jeu: une arme occupe un seul emplacement dans un jeu comme Godfall (Counterplay Games, 2020) – à l’exception notable des armes à deux mains. La courbe d’identité est un exemple de courbe linéaire où la quantité est du 1 pour 1.
Courbe linéaire
Une courbe linéaire implique que la relation entre deux ressources reste toujours la même. Mathématiquement, on peut dire que chaque quantité de x correspond à la même quantité de y.

Dans beaucoup de jeux, un objet a toujours le même prix en magasin. Qu’on achète une potion ou cinquante potions, le prix à l’unité reste le même. On a une courbe linéaire lorsque relation entre deux ressources reste identique peu importe la valeur contenue.

Final Fantasy XIII (Square Enix, 2009)
Dans une courbe linéaire, la proportion entre les deux variables reste toujours la même: on a une proportion x:y stable. Acheter un Iron Bangle dans Final Fantasy XIII coûte 500 gils, en acheter dix coûtera alors 5000 gils.
Courbe exponentielle
Une courbe exponentielle, c’est lorsque la valeur d’une ressource fait augmenter ou diminuer exponentiellement la valeur de l’autre. Elle est souvent utilisée pour la progression en points de compétences ou en points d’expérience. Dans l’exemple plus bas, pour atteindre le niveau n, il faut 1000*2n-1 d’expérience (2000 au niveau 2, 4000 au niveau 3, 8000 au niveau 4, etc.). La progression devient très élevée rapidement: passer du niveau 4 à 5 prend le même nombre de points d’expérience que du niveau 1 à 4. En fait, chaque niveau demande d’accumuler le même nombre de points d’expérience accumulé jusque-là.
Une manière de mesurer cette progression exponentielle est d’utiliser des exposants qui ne sont pas des entiers: un courbe avec un exposant en 1,5 plutôt que 2 progresse plus lentement, mais ajoute toujours un peu plus de points d’expérience à obtenir.

La courbe exponentielle peut rapidement devenir problématique: après un moment, la quantité à atteindre devient si élevée que le prochain niveau arrive trop loin et le sentiment de progression peut en être affecté. Dans plusieurs jeux, comme l’exemple ici de la 2e édition de Donjons et Dragons (Cook, et al. 1996, p. 36), on va créer une courbe avec deux tendances différentes. Du niveau 1 à 10, chaque niveau coûte le double (ou presque) que le précédent — on est dans une courbe exponentielle. Puis, du niveau 10 jusqu’au 20, on revient à une courbe linéaire. On peut même voir que les récompenses à chaque niveau sont moins élevées, les points de vie augmentant uniquement de 3 points plutôt que d’un dé 10 complet à partir du niveau 10.

Courbe logarithmique
Une courbe logarithmique est essentiellement « l’inverse » d’une courbe exponentielle. Pour reprendre l’explication très clair d’Alloprof, le logarithme pose la question: « quel exposant faut-il attribuer à la base c pour obtenir le nombre m? » Si on prend l’exemple exponentiel plus tôt, on pouvait l’illustrer avec cette fonction (où x est le niveau à atteindre et y, le nombre de points d’expérience pour y arriver):
y = 1000*2x-1
Une courbe logarithmique permettrait d’illustrer la relation inverse:
x = (log2y / 1000) + 1
Dans les faits, dans la plupart des cas, on peut se passer des logarithmes dans la mesure où il s’agit de l’opération inverse d’un exposant.
Courbe triangulaire
La courbe triangulaire est souvent utilisée en design de jeux de plateau (Schreiber et Romero 2022, p. 73-74): il s’agit d’un « triangle » parce qu’il s’agit du total d’unités si on ajoute une rangée plus bas dans une pyramide. Si on débute par 1, en ajoutant une rangée de 2 en dessous, notre total est de 3. Ensuite, si on ajoute 3, notre total est de 6. Puis, on ajoute 4 pour passer à 10, etc.
Notre suite est donc la suivante:
1, 3, 6, 10, 15, 21, 28, ...
Et elle est construite avec une augmentation qui, elle, est en augmentation stable:
0, +1, +2, +3, +4, +5, +6, +7, etc.
Comme le notent Schreiber et Romero, on la retrouve dans Baldur’s Gate: Dark Alliance (Black Isle Studios, 2001), où le niveau 2 est atteint à 1000 points d’expérience, le niveau 3 à 3000, 4 à 6000, etc.

Baldur’s Gate: Dark Alliance (Black Isle Studios, 2001)
Courbe irrégulière
Les chiffres peuvent aussi n’avoir aucune régularité apparente. Bien sûr, comme designer, on peut faire techniquement « ce qu’on veut », mais il y a une logique à créer une courbe irrégulière comme celle plus bas, dans la cinquième édition de Donjons & Dragons (Mearls et Crawford (2014) 2021, p. 15).

Dans les faits, la courbe correspond à des « coûts » en termes de points d’expérience pour obtenir les caractéristiques qu’un niveau nous donne. Or, certains niveaux sont névralgiques par rapport aux bonus obtenus: la courbe reflète donc les niveaux où il y a des changements importants dans le choix de son personnage. On le verra dans un billet subséquent, mais dans l’équilibre des jeux vidéo, l’importance d’équilibrer les coûts et les bénéfices est sans doute l’aspect le plus central.
Références
- Cook, David « Zeb » et al. 1996. Advanced Dungeons & Dragons. Manuel des joueurs. Cambridge/Lake Geneva: TSR.
- Mearls, Mike, et Jeremy Crawford. (2014) 2021. D&D Player’s Handbook [5e édition]. Manuel des joueurs. Delémont: Hasbro SA.
- Schreiber, Ian. 2010. « Level 2: Numeric Relationships ». Game Balance Concepts (blog). 14 juillet 2010.
- Schreiber, Ian, and Brenda Romero. 2022. Game Balance. 1st edition. Boca Raton: CRC Press.
Image d’entête: Godfall (Counterplay Games, 2020). |
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