Clair Obscur: Expedition 33 et la résonance de Pattie O’Green

Je précise que je divulgâche Clair Obscur: Expedition 33 plus bas.

Quand on étudie un objet culturel, on ne peut pas faire abstraction de la dimension émotive, presque viscérale parfois, qui se crée dans la rencontre avec l’objet. Ce qui fait de la poésie ou du cinéma un art n’est pas tant sa construction de sens seule, mais la manière dont on reconnaît collectivement le sentiment qu’on a face à cette machine à produire du sens. L’art est souvent perçu comme un dispositif pour produire des émotions; Sara Ahmed dirait peut-être que c’est un « happy object » (2010), un objet défini par l’émotion qu’on s’attend à ce qu’elle produise. C’est peut-être pour cette raison que les jeux vidéo font encore débat à savoir s’ils sont de l’art.

Symphony of War: The Nephilim Saga (Dancing Dragon Games, 2022)

Je réalise que j’ai plus de difficulté à aborder les jeux qui m’ont marqués dans les dernières années. J’ai adoré en particulier les jeux de rôle tactiques Symphony of War: The Nephilim Saga (Dancing Dragon Games, 2022) et Unicorn Overlord (Vanillaware, 2024), mais même si j’ai terminé le premier il y a plusieurs années déjà, je n’arrive pas toujours à mettre des mots sur ce que je ressens face à cet objet culturel. C’est l’impression que j’ai en ce moment après avoir joué à Clair Obscur: Expedition 33 (Sandfall Interactive, 2025). Je vais tenter de me donner le droit d’en parler davantage sur le plan émotif que sur le plan analytique; j’ai cette liberté avec un blogue et ça me permettra certainement de mieux comprendre ma relation avec les jeux.

Il y a dans les jeux une dimension de sérendipité, de rencontres entre tellement d’éléments disparates mais en lien l’un avec l’autre qu’il est difficile de savoir si on vit exactement la même expérience. Le terme « sérendipité » ici me vient d’un étudiant qui a brièvement étudié avec moi au doctorat; j’espère qu’il prendra le temps de poursuivre cette idée.

Clair Obscur: Expedition 33 sera mon jeu de l’été 2025. Non pas que j’aie un jeu par saison; justement. C’est un jeu qui sera marqué dans ma mémoire irrémédiablement comme lié à ce que je vis pendant cet été. Maelle est l’incarnation du déni d’Alicia vis-à-vis du deuil de son frère et du sentiment de culpabilité qu’elle vit. Elle choisit de rester dans la toile, dans l’illusion que son monde va bien plutôt que d’affronter le deuil dans la réalité.

De la décision de Maelle, il y a quelque part une métaphore à faire avec les jeux vidéo eux-mêmes, peut-être?

J’ai senti que Clair Obscur arrivait juste au bon moment dans ma vie, tout comme ma lecture des Prophéties de la montagne de Pattie O’Green. Les deux ont eu une sorte de résonance en moi, comme elle le décrit:

On confond tellement souvent l’amour avec la résonance, on mélange une relation à l’autre avec une relation au monde. La rencontre de certaines personnes, mais aussi de lieux, de végétaux et d’animaux, résonne parfois très fort, alors on veut ça, ON VEUT TELLEMENT ÇA. On s’y accroche comme si notre vie en dépendait et c’est vrai: notre vie, le fait de se sentir vivantes et vibrantes, dépend de cette relation au monde, mais elle n’est pas entre les mains d’une autre personne. On ne choisit peut-être pas ce qui nous fait vibrer, mais on peut choisir ou non d’entrer en relation avec cette vibration et, surtout, on peut la cultiver en soi sans chercher désespérément le contact avec ce qui nous apparaît a priori comme sa source (p. 30-31).

J’ai déjà dit que les jeux vidéo devraient cesser d’être perçus comme des produits technologiques, au sens où ils sont vus comme produits de consommation techno comme une lampe ou une balayeuse intelligente. Je pense qu’il faut briser la relation machinique qu’on perçoit avec le jeu vidéo pour mieux comprendre la manière dont ils nous font vibrer, la manière dont ils font vivre des formes de résonances.

Je vis des émotions intenses dans les derniers mois et Clair Obscur m’offre cet espace de résonances, me permet d’illustrer d’une manière des plus claires ce que j’ai encore de la difficulté à formuler en mots ou en images. J’aimerais qu’il puisse me permettre de partager quelque chose, mais je sens encore que les émotions qu’il me fait vivre sont difficilement accessibles: pour quelqu’un qui n’aime pas les jeux vidéo, pour quelqu’un qui n’aime pas ce genre de jeu, pour quelqu’un qui n’a pas les mêmes référents ou la même sensibilité que j’ai. La résonance est fort probablement un mot qui permet d’illustrer mieux que tous les autres la relation qu’on peut avoir avec le monde qui nous entoure.

Référence

Ahmed, Sara. 2010. The promise of happiness. Duke University Press.

O’Green, Pattie. 2023. Les prophéties de la montagne. Marchand de Feuilles.

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