Je donne cet automne le cours « Design de systèmes et économie de jeu » (DJV1303) à l’UQAT, qui remplace « Design économique et analytiques » (DJV1401). J’ai pris du temps pour focaliser davantage sur les systèmes de jeu indépendamment de la dimension économique, qui était plus centrale dans la mouture précédente. Je pense réussir à être plus versatile dans le type de contenu et donner des outils à des designers de combat par exemple. Cette semaine, j’ai focalisé mon cours complet sur les systèmes de jeu.
Un système, c’est ce qui émerge de la relation entre ses différentes composantes. Si un jeu est un système, c’est parce que les différents aspects qui le composent forment un tout qui est plus qu’une addition. Le système prend sens par l’interrelation entre ses différentes unités, peu importe leur « intention » ou leur volonté. Un globule rouge n’a pas “choisi” de jouer son rôle dans le système sanguin, mais le rôle qu’il joue par lui-même est essentiel pour que l’oxygène circule dans notre corps. Un système est plus que la somme de ses parties.
Que veut-on dire par “systémique”?
George Skaff Elias, Richard Garfield, et Karl Robert Gutschera expliquent, dans leur ouvrage sur les caractéristiques des jeux, que les éléments systémiques des jeux sont plus que les ingrédients eux-mêmes. Ils proposent de réfléchir « aux phénomènes systémiques émergents: les propriétés des jeux qui sont à une échelle plus large, qui émergent typiquement des règles plutôt que d’y être incluses » (Elias, Garfield et Gutschera 2012, p. 101).
Un phénomène “systémique” est un phénomène qui n’a pas été “pré-scripté”, qui n’est pas déterminé par un seul élément mais qui émerge de la rencontre de différents éléments lorsqu’on les met en relation dans un système.
| Par exemple, quand on parle de “racisme systémique”, on parle de résultats ou d’effets qui ont des répercussions inégales entre les individus sans que ça ne soit nécessairement l’effet ou l’intention d’un élément seul du système. Parfois, le rôle d’un individu peut quand même être déterminant pour renverser la tendance: il faut donc comprendre son rôle dans le système pour le briser. |
C’est ce qui fait la différence fondamentale entre un jeu de progression et un jeu d’émergence. Un jeu de progression est un jeu dont la progression a été pré-scriptée pour faire en sorte que les défis soient prévus d’avance. Un jeu d’émergence, au contraire, est construit sur l’idée que les règles sont insuffisantes pour décrire le jeu; il faut comprendre les résultats de leurs interactions et l’expérience qui en découle.
Les systèmes de jeu
Si un jeu dans son ensemble peut être un système, on peut aussi percevoir différentes parties d’un jeu comme des systèmes lorsqu’elles ont une logique entre elles. Elias, Garfield, et Gutschera (2012, p. 103-104) proposent, pour voir quels sont les systèmes d’un jeu, de voir ce qui pourrait être perçu comme des « sous-jeux ». Dans un jeu comme Total War: Warhammer 3 (Creative Assembly, 2022), les combats peuvent être vus comme des “sous-jeux” dont la victoire ou la défaite n’est pas finale, mais a des répercussions sur le jeu plus généralement.

L’essence du jeu
Elias, Garfield et Gutschera proposent de parler de “jeu essentiel” ou “d’essence du jeu” lorsqu’il y a une expérience centrale, qu’on peut réduire à quelque chose de plus simple qui détermine la victoire. On peut la percevoir dans la manière dont on tend à parler de certains jeux: “essentiellement, c’est un jeu de roche-papier-ciseaux”. Le “jeu essentiel” est ce qui détermine la victoire et la défaite.
Je n’aime pas trop l’expression, surtout parce qu’elle présuppose que certaines choses sont superflues, mais il faut la prendre dans la perspective du design. Imaginons qu’on crée un jeu de rôle comme Sea of Stars ou Clair Obscur: Expedition 33: on va choisir que certaines actions rapides (quick-time events) permettent d’activer des habiletés. Mais, essentiellement, c’est le choix des habiletés qui est plus important que les actions rapides, même si certains affrontements sont impossibles sans savoir esquiver et bloquer.

Le designer de systèmes
Selon le site web du Pôle Synthèse, une « conceptrice ou un concepteur de systèmes conçoit et développe les systèmes qui sous-tendent le fonctionnement des jeux vidéo, des applications interactives, des simulations et d’autres formes de médias interactifs. Sa responsabilité comprend la création des règles, des mécanismes de jeu, des systèmes de progression, des systèmes de récompenses, des interfaces utilisateur et d’autres éléments qui définissent la structure et la dynamique de l’expérience interactive.”
Ainsi, le rôle du designer de systèmes est:
- de concevoir les différents “sous-jeux” et systèmes qui constituent le jeu dans son ensemble (combat, inventaire, économie, etc.);
- de concevoir un jeu qui comprend différents systèmes interreliés et de pondérer l’importance de chacun dans l’expérience totale.
Selon la taille du studio, le designer de système peut faire les deux ou se concentrer sur l’un des deux.
Référence
Elias, George Skaff, Richard Garfield, et Karl Robert Gutschera. 2012. Characteristics of games. MIT Press.
« Conceptrice ou concepteur de systèmes », Synthèse, https://polesynthese.com/repertoire/metiers-en-creation-numerique/concepteur-systemes

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