Cet article est un extrait adapté de ma thèse de doctorat (2015, p. 80-82). |
Pour Paul Veyne, ce qui caractérise l’histoire, c’est de n’être « rien qu’un récit véridique » ([1971] 1996, p. 13), soit l’explication d’une série d’événements qui ont pour caractéristique d’être réellement arrivés. Le travail de l’historien est alors de colliger les faits, d’en faire un travail synthétique et de le raconter à la manière d’une intrigue. Ainsi, pour lui, l’histoire n’est pas une science humaine, car elle s’attache à l’individualisation plutôt qu’à l’universalité.
Deux types de sciences
Veyne voit une distinction entre deux types de sciences, distinction qu’il reprend de Dilthey et Windelband : « d’un côté, il y a les sciences nomographiques, qui se donnent pour but d’établir des lois ou des types, et de l’autre les sciences idiographiques, qui s’intéressent à l’individuel » ([1971] 1996, p. 18-19). Si l’histoire peut porter le nom de science, c’est en tant que science idiographique, c’est-à-dire qu’à un fait, elle s’intéresse à sa propriété en tant que fait singulier, individuel — contrairement aux sciences humaines, nomographiques, qui se donnent pour objectif de créer des modèles, de comprendre la logique derrière des phénomènes humains, de voir des relations causales en les induisant à partir de phénomènes répétables et répétés.
Pour l’historien, l’histoire ne se répète jamais, « même s’il lui arrivait de redire la même chose » (p. 20), au sens où, si un événement arrive à nouveau, ce n’est plus le même événement répété — comme, disons, une expérience scientifique doit être répétable pour être jugée scientifique —, mais un autre événement singulier considéré pour son événementialité en elle-même. Tout au plus, cet événement peut se rattacher à un type, soit à un modèle général heuristique dont il faudra de toute façon expliquer l’occurrence singulière.
Par contre, la science voit dans un événement une abstraction qui lui permet de relier plusieurs occurrences comme un seul et même phénomène pour en faire ressortir des principes généraux. L’histoire, elle, s’intéresse à ce qui est arrivé comme occurrence en elle-même. Ainsi, un orage qui est survenu à telle date sera consigné par l’historien comme un événement; la météorologie y verra une occurrence qui lui permettra d’étudier plus largement le phénomène des orages. Contrairement aux sciences nomographiques, qui voient dans un fait un prétexte à découvrir une loi, l’histoire s’intéresse au fait en lui-même.
L’explication et la compréhension
Cette distinction est illustrée par les deux sens du mot « expliquer » que propose Veyne. Expliquer peut d’abord renvoyer à l’idée d’« assigner un fait à son principe ou une théorie à une théorie plus générale » ([1971] 1996, p. 124) — en ce sens, Veyne l’appelle plutôt compréhension. Cette compréhension est un « système hypothético-déductif » (p. 127), une science, qui permet de faire des déductions à partir de principes généraux. Veyne réserve ensuite l’explication à quelque chose de plus simple, de plus commun : à la manière dont on décrit plus précisément ce qui s’est déroulé durant un événement pour le faire comprendre à quelqu’un qui n’en connaît pas les tenants et aboutissants. L’explication historique ne se distingue des faits « bruts » que parce que l’historien doit expliquer ces faits à un lectorat qui ne les connaît pas, qui n’est pas dans le rôle des actants principaux, qui n’est pas ou plus dans le contexte qui lui permette de voir ces faits comme des évidences (p. 127). Suivant cette conception, le rôle de l’historien est de découvrir de nouveaux faits à partir de nouveaux documents, de nouvelles données ou d’un regard différent.
Le recours au type en ce sens n’est pas le recours à une conception universelle ou intemporelle. Affirmer qu’on s’intéresse au jeu de stratégie en temps réel n’implique pas qu’on croit qu’il soit une forme qui ait toujours existé : le jeu de stratégie en temps réel comme type peut tout simplement permettre d’« abréger une description » (p. 167). On peut décrire plus aisément Dungeons & Dragons: Dragonshard en affirmant qu’il s’agit d’un STR avec des éléments de jeu de rôle; on peut décrire Myth: The Fallen Lords en disant qu’il s’agit d’un STR sans la gestion de ressources. Il n’est aucunement question dans une histoire des jeux vidéo de trouver un système de lois qui permettrait d’expliquer scientifiquement ce que sont les jeux vidéo dans leur ensemble.
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