Gérer la complexité narrative: Dark, Life is Strange et le savoir encyclopédique

Dark (arbre généalogique, S1, E3)

Il y a une complexité narrative qui est fréquente dans les fictions contemporaines. La série Dark (Baran bo Odar & Jantje Friese, 2017-2020) en est un bon exemple: on passe d’un personnage à un autre qui ont des liens cachés, d’une temporalité à une autre jusqu’à des univers parallèles. La plupart du temps, la recherche de cohérence dans la complexité fait partie des éléments qui rendent ces séries intéressantes. Cette cohérence est notée notamment par André Gardies comme étant un élément central aux films de fiction: « Précisément l’un des traits remarquables du film narratif fictionnel tient à la cohérence du monde diégétique qu’il construit » (Gardies 1993, p. 43).

The Umbrella Academy, saison 4

Je viens de finir la série The Umbrella Academy (Steve Blackman & Jesse McKeown, 2019-2024) et je trouve qu’elle met en évidence quelque chose de fascinant sur ce point spécifiquement. Elle semble illustrer que le plaisir narratif peut aller au-delà de la recherche de cohérence; on dirait que plusieurs fictions contemporaines ont tout simplement renoncé à cette cohérence.

Traditionnellement, suivant Aristote, « le rôle du poète ne consiste pas à dire ce qui s’est passé mais ce qui pourrait arriver, ce qui est possible selon le vraisemblable ou le nécessaire » (Poétique, IX; 2002, p. 35). Autrement dit, une histoire fictive a d’intérêt parce que ce qu’on raconte est vraisemblable, qu’il soit vrai ou faux. C’est une idée assez standard et reprise un peu partout.

Suivre une fiction, c’est même anticiper des possibilités parmi lesquelles un certain nombre seulement se produira dans l’histoire. Parmi différents mondes possibles, habituellement, un seul devient le monde actuel. Les auteurs de l’Esthétique du film qualifient le vraisemblable de « ce qui est prévisible. On jugera par contre invraisemblable ce que le spectateur ne pouvait absolument pas prévoir » (Aumont et al. 2004, p. 100). La complexité arrive comme un obstacle à la vraisemblance, sans nécessairement l’exclure complètement.

Deux stratégies pour gérer la complexité

Les jeux vidéo narratifs comme Life is Strange (Dontnod Entertainment, 2016) ont adopté la stratégie de l’encyclopédie de jeu. Life is Strange le présente comme un journal intime alors que d’autres jeux comme Penumbra (Frictional Games, 2007) le montrent comme un journal de bord. Rencontrer un nouveau personnage ouvrira une nouvelle entrée dans une encyclopédie ou un « codex » où on détaillera les informations sur ce personnage/lieu/objet/etc. Le codex permet de synthétiser ce qu’on sait déjà normalement, pour éviter de l’oublier (si une longue période s’écoule entre les parties) ou pour se le remémorer au bon moment (s’il y a de nombreux personnages ou lieux, par exemple). Ces informations sont sans divulgâcheurs parce qu’elles n’apparaissent que lorsqu’on les a déjà rencontrées en jeu.

Les séries télé n’ont pas ce luxe: c’est le web qui joue ce rôle. Mais faire une recherche en ligne a tendance à nous révéler des informations importantes, en particulier si c’est une série qui a plusieurs saisons. Les créateurs de la série Dark ont mis en ligne un équivalent au codex des jeux vidéo: on entre l’épisode où on est rendus et il explique ce qu’on sait des personnages à ce point de l’histoire.

Les jeux vidéo ont un avantage narratif certain en ce qui a trait à raconter la complexité.

Références

  • Aristote. 2002. Poétique. Traduit par Barbara Gernez. Paris: Les Belles lettres.
  • Aumont, Jacques, Alain Bergala, Michel Marie, et Marc Vernet. 2004. Esthétique du film. 3e éd. Collection « Armand Colin cinéma ». Paris: A. Colin.
  • Gardies, André. 1993. Le récit filmique. Paris: Hachette.

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Commentaires

2 réponses à “Gérer la complexité narrative: Dark, Life is Strange et le savoir encyclopédique”

  1. Avatar de Christine Hébert

    Ce serait agréable d’avoir plus d’initiatives de ce genre (des infos sans divulgâcheurs) 😀

  2. Avatar de Simon Dor

    Vraiment! J’ai l’impression que ça va devenir plus fréquent. Les interfaces sur les smart TV et les platformes en ligne le permettraient plus facilement.

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